Autant l'avouer tout de suite, je suis jalouse de Madonna. Pas rien que jalouse, d'ailleurs. Je suis envieuse et même un brin frustrée de constater que bien que nous appartenions toutes les deux au club des néo-quinquagénaires, elle a le quinqua pas mal plus pimpant et en forme que le mien. Reste que lorsque je l'ai vue arriver sur la scène du Centre Bell jeudi soir, les traits tirés et l'air lavé d'une fille couvant à la fois une fin de grippe et un début de divorce, j'ai repris espoir. Peut-être que la madone est plus humaine et plus fragile qu'elle ne veut le laisser paraître, me suis-je dit dans mon for intérieur. Mais cette illusion n'a duré que le temps d'une chanson.

Dès le numéro suivant, Madonna retrouvait son tonus du tonnerre, ses mollets de béton, ses cuisses de kryptonite, ses biceps qui ont poussé beaucoup de fonte, sa souplesse d'acrobate du Cirque du Soleil et sa glande résolument stéroïde.

 

Décidément, cette femme n'est pas une femme. C'est une force de la nature en forme de gym et de comédie musicale, un mélange de Star Wars et de Bertolt Brecht, de publicité sociétale et de jeu Nintendo. Entourée de jeunes poulettes qui, contrairement à elle, sont nées de la dernière pluie, Madonna fait la démonstration chaque fois qu'elle s'avance sur scène que pour l'accoter, il faut se lever de bonne heure et peut-être même renoncer tout simplement à se coucher.

Mais la forme physique est une chose. La forme morale, une autre. Or à ce chapitre-là, j'étais persuadée que les déboires conjugaux de Madonna et son divorce tout neuf d'avec Guy Ritchie avaient sapé son moral et peut-être même éteint les feux de se créativité. Or, il n'en est rien. Si je me fie aux deux heures de spectacle à couper le souffle qu'elle nous a offertes jeudi, le divorce va bien à Madonna. Mieux encore : le divorce semble avoir libéré sa créativité, lui donnant l'énergie et l'élan de ses 20 ans.

Voilà non seulement une femme qui vient une fois de plus de muer, voilà une femme qui a retrouvé le seul grand amour de sa vie : son public. Et à Montréal, cette femme avait décidé pour une rare fois d'assumer ses origines. «Savez-vous que je suis une Canadienne française? Que du sang canadien-français qui coule en moi? Vous sentez-vous connectés à moi», a-t-elle lancé à la foule en délire.

Il y a plusieurs façons d'être marié à son public. Madonna, elle, a opté pour une relation un brin plus aventureuse artistiquement que la moyenne des artistes pop. Au lieu de tout mâcher pour son public et de lui offrir le prévisible et le rassurant, elle l'entraîne dans le champ gauche et ne lui donne jamais exactement ce à quoi il s'attend.

Quand elle ne lui balance pas au visage de magnifiques dessins du peintre Keith Haring, elle lui offre des images douloureuses de famine, de dévastation et de mort avant de se transformer en guerrière écolo, puis en militante pro-Obama. Puis, sans crier gare, elle ferme la discothèque où elle avait convié le public et l'entraîne dans un film d'Emir Kusturica avec danseuse virevoltante et musiciens tsiganes à l'appui. Puis le film se transforme encore et sa vedette principale change de rôle comme de décor toujours avec le même souci de divertir le public tout en testant son seuil d'endurance et son ouverture d'esprit.

À la fin de sa prestation, jeudi, ma jalousie avait fondu et cédé le pas à une admiration sans bornes pour cette délicieuse délinquante qui refuse énergiquement de vieillir et qui se réinvente chaque soir avec une rage de vivre épatante.

Je suis entrée au Centre Bell avec le poids de mon âge. J'en suis sortie, requinquée et rajeunie. Je n'avais toujours pas le mollet aussi ferme que Madonna, mais grâce à son énergie contagieuse, j'avais le sentiment exaltant d'être née de la dernière pluie.