Toute la journée lundi, Patrice Roy s'est promené d'un micro à l'autre à Radio Canada, en répétant toujours le même refrain: «Si je me casse la gueule au bulletin de 18 h, eh bien! je me casserai la gueule et si ça ne marche pas, j'irai faire autre chose.»

Compte tenu du passé pour le moins cahoteux de ce bulletin, c'était probablement la meilleure attitude à avoir. Surtout que Roy arrive à la barre du 18 h après une Pascal Nadeau qui a bien servi son public et une longue succession de sauveurs qui, d'une fois à l'autre, ont chassé Nadeau (pour mieux la faire revenir) sans faire monter les cotes d'écoute ni réussir à réduire le million de Pierre Bruneau à TVA.

De ne pas créer d'attentes inutiles était donc d'entrée de jeu, une excellente stratégie de la part de Patrice Roy. Mais encore. Ce n'est pas parce qu'on est habile à vendre sa salade qu'on sait comment «livrer la marchandise». À ce chapitre, j'avoue que mes attentes étaient encore plus basses que celles de Patrice Roy.

J'ai vu l'ex-chef du bureau d'Ottawa s'initier à l'animation à RDI au début de l'été et je n'avais pas trouvé le résultat concluant. Roy, qui est pourtant un excellent reporter politique, paraissait aussi nerveux et tendu qu'un poisson éjecté de son bocal dans son nouveau rôle. Il semblait en plus pathologiquement incapable de sourire et comme il n'est pas l'être humain le plus chaleureux sur terre, le courant entre la caméra et lui ne passait pas.

En télévision, comme en cinéma au demeurant, la caméra vous aime ou ne vous aime pas. Or, dans le cas de Roy, j'avais le sentiment que c'est lui qui n'aimait pas la caméra.

Je ne parle évidemment pas de la caméra trépidante de terrain qu'il connaît bien et fréquente depuis longtemps. Je parle plutôt du gros oeil morne et statique avec lequel un lecteur de nouvelles doit engager un dialogue, fait à la fois de sérieux et de charme. Au début de l'été, j'avais la nette impression que Patrice Roy faisait tout pour fuir cet oeil implacable et refusait tout jeu de séduction avec lui.

Trois mois plus tard, ce n'est plus du tout le cas. Et lundi, pour son tout premier bulletin de 18 h, c'est un nouvel homme qui a fait place à l'ancien.

Souriant, mais sans forcer la note, pas trop straight malgré le complet et la cravate, à l'aise, engageant et naturel, la métamorphose était spectaculaire. Voilà quelqu'un qui, dans un temps record, a appris et assimilé la base de ce qui fait un bon chef d'antenne. Le résultat n'est pas seulement bon. Il est rafraîchissant et moderne à la fois à cause du nouveau dispositif visuel, mais aussi à cause de la personnalité même de l'animateur.

Pour sa première émission, Roy a voulu montrer qu'il savait animer sans pour autant couper le cordon avec son passé de journaliste de terrain. Il nous a donc entraînés à Montréal-Nord. Le reportage, tourné quelques jours après les émeutes, rendait bien l'atmosphère qui règne dans ce quartier chaud où l'animateur n'a pas hésité à s'aventurer aussi bien le jour que la nuit.

Tout cela pour dire que Roy semble à l'aise partout: en dedans comme en dehors, en duplex comme en tête à tête avec la caméra. On se demande seulement comment il va réussir à tout faire en même temps, aussi bien du terrain que l'animation du bulletin de 18 h, suivi dès le 29 septembre d'une heure d'affaires publiques qu'il animera tous les soirs sur RDI.

Cela m'apparaît beaucoup pour un seul homme, tant sur le plan de la charge de travail que du temps d'antenne. Sans compter que cette double tâche a entraîné le départ de Dominique Poirier. Fallait-il vraiment chasser l'animatrice de cette case pour permettre à Patrice Roy de faire 10 heures d'antenne par semaine et de briller sur les deux chaînes? Cela reste à prouver.

En attendant, Roy a relevé le premier défi. Celui de nous donner le goût de le retrouver à 18 h.

Lorsque la direction de l'info à la SRC a annoncé sa nomination à la fin du printemps, elle a évoqué comme source d'inspiration le nom d'Anderson Cooper, la jeune vedette aux cheveux prématurément gris, qui règne le soir à CNN.

À l'époque, la comparaison avait été accueillie avec un brin de scepticisme. Mais à bien y penser, Anderson Cooper et Patrice Roy ont plusieurs points en commun: l'âge, l'expérience du terrain, une sorte de distance cool face aux événements, une compulsion pour le travail, du contenu et beaucoup, beaucoup d'ambition. Bref, tout ce qu'il faut pour inquiéter sérieusement la compétition.