Le gouvernement Charest croyait que sa hausse brutale des droits de scolarité passerait comme du beurre dans la poêle.

Grossière erreur.

Tout a commencé avec une idée et un chiffre lancés par la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) en 2010 : les universités québécoises sont sous-financées. Si on les compare avec leurs consoeurs canadiennes, le gouffre est de 620 millions. À entendre la CREPUQ, on frôle le génocide universitaire. Leur solution : hausser les droits de scolarité de 70% en trois ans.

En 2012, le premier ministre Jean Charest prend acte de leurs doléances et annonce une hausse salée de 75% étalée sur cinq ans. Les universités sont fauchées, que les étudiants paient leur «juste part», dit-il. Il n'en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres.

Jean Charest et les recteurs balaient sous le tapis les excès des universités : multiplication des campus, salaires mirobolants, dérives immobilières, comme l'îlot Voyageur de l'UQAM, etc. Les étudiants, eux, ne se gênent pas pour faire leur procès.

Un premier vote de grève se tient à Valleyfield le 7 février, puis la contestation fait boule de neige. Deux semaines plus tard, 132 000 étudiants débraient ; un mois plus tard, ils sont 305 000. Le gouvernement durcit ses positions, les associations étudiantes aussi. Le mouvement s'emballe : carrés rouges contre carrés verts, demandes d'injonction, universités paralysées, sessions suspendues, infiltration de groupuscules comme la CLAC, le Black Bloc et la Force étudiante critique qui brouillent les cartes et foutent le bordel. Les manifestations réprimées dans la violence se multiplient, la tension monte de plusieurs crans jusqu'à l'émeute de Victoriaville.

Au début, le débat tourne autour des droits de scolarité. Pourquoi le Québec au grand complet devrait-il payer pour des étudiants qui deviendront médecins ou avocats?, se demandent certains qui décrivent les jeunes comme des enfants gâtés qui passent leur temps le nez collé sur leur nombril et leur iPhone. D'autres croient que la hausse nuira à l'accessibilité. J'en suis.

Mais ce débat est vite oublié. Deux visions de la société s'affrontent : les lucides contre les solidaires, avec, en toile de fond, un gouvernement usé jusqu'à la corde et accusé de corruption. Dans ce grand brouhaha, on oublie les universités.

Des manifestations-fleuves se déroulent soir après soir, les gens sortent de leur maison à 20 h tapantes avec leur casserole à se demander quelle mouche a piqué le Québec.

Un immense, que dis-je, un gigantesque ras-le-bol se manifeste à travers cette crise des droits de scolarité qui n'est plus qu'un prétexte pour descendre dans la rue. La marmite déborde.

Cinq ans plus tard, que reste-t-il de cette révolte?

Vaste question.

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Revenons aux universités, le point de départ du printemps érable.

C'est vrai qu'elles ont parfois géré comme des pieds, mais c'est vrai aussi qu'elles étaient sous-financées... par la faute du gouvernement qui a tout sacrifié sur l'autel du déficit zéro dans les années 90.

À l'époque, il leur avait imposé des compressions sauvages. À court d'argent, les universités avaient rogné sur les dépenses : classes surchargées, hausse du nombre de chargés de cours, etc. Elles en étaient quasiment réduites à baisser le chauffage pour économiser de l'argent.

Le cri du coeur des recteurs en 2010 ne sortait pas des limbes, il collait à une réalité, celle d'un système universitaire à bout de souffle. La solution du gouvernement Charest : aller chercher l'argent dans la poche des étudiants tout en promettant de réinvestir. Le Parti québécois, qui a pris le pouvoir au lendemain de la crise, a aussi promis un réinvestissement aux dimensions quasi stratosphériques : 1,7 milliard d'ici 2019. De quoi faire saliver les recteurs affamés.

En attendant le pactole, le PQ a imposé des compressions de 250 millions. Le pot avant les fleurs. Sauf que le fameux réinvestissement ne s'est jamais concrétisé. En 2014, Pauline Marois est battue, Philippe Couillard prend le pouvoir et impose à son tour des compressions. Bye bye, les millions.

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Et aujourd'hui? Les universités rament toujours dans la garnotte. En 2012-2013, elles recevaient 2,689 milliards du gouvernement. En 2015-2016, ce chiffre montait à 2,737 milliards, une hausse famélique de 1,8% en trois ans, soit à peine plus de 0,5% par année. Avec des coûts de système qui frôlent les 3%, les universités essuient une perte sèche de plusieurs millions. Retour désespéré à la case zéro, pour ne pas dire sous zéro.

Les universités sont les grandes perdantes de la crise. En octobre 2016, le ministre Leitão a promis de réinvestir 110 millions en éducation, sauf que cette cagnotte sera distribuée aux écoles primaires et secondaires, aux cégeps et aux universités. Combien de millions tomberont dans les goussets des universités? Sûrement pas des tonnes.

Mon collègue Tommy Chouinard a appris vendredi que les 110 millions seront bonifiés et que l'enseignement supérieur occupera une place centrale dans le prochain budget. À suivre.

La CREPUQ a éclaté. Il ne reste qu'un Bureau de coopération interuniversitaire, sorte de CREPUQ émasculée qui se garde bien de faire du lobby. Les recteurs ne parlent plus d'une seule voix.

Qui sont les gagnants? Les étudiants. Les trois leaders, Léo Bureau-Blouin, Martine Desjardins et Gabriel Nadeau-Dubois, ont mené une lutte remarquable. Ils ont tenu à bout de bras une grève qui a connu son lot de dérapages et de violence.

Le Québec aussi a gagné. Il a découvert sa force de mobilisation à travers le mouvement des casseroles et une jeunesse allumée, politisée, prête à se battre pour des principes, une jeunesse à des années-lumière de l'image abrutissante d'enfant-roi que certains commentateurs essayaient de nous passer à travers la gorge à coups de chroniques méprisantes.

Mais la victoire est douce-amère. La Fédération étudiante universitaire (FEUQ), qui a mené la charge, a éclaté un an après la crise. Les étudiants n'ont pas obtenu le gel ou la gratuité, mais une indexation. Ils ont sauvé les meubles, car ils ont échappé à la hausse de 75%, préservant du même coup l'accessibilité. Au Canada, le Québec a les droits les plus bas (2851 $ par année) après Terre-Neuve (2759 $), une victoire essentielle. En Ontario, les droits atteignent 8114 $.

Mais il y a un prix à payer pour cette victoire : des universités encore et toujours à bout de souffle.