La culture du viol. Le mot est fort, puissant. Trop fort, trop puissant. Culture du mononc', des blagues grivoises, du sexisme, de la main leste, du harcèlement, oui, j'en suis, mais du viol ? Non. En utilisant ce mot à toutes les sauces, il se vide de sens. Cette dérive du langage, cette enflure, me dérange.

Le viol est trop grave pour qu'on le banalise dans une expression-choc qui laisse entendre que les femmes se font violer à tour de bras et que les hommes sont potentiellement des violeurs, frères, pères, maris, voisins. Comme si le Québec était une société violente et que les femmes avaient peur de se promener seules le soir.

Quand j'entends les gens brandir le terme culture du viol, j'ai l'impression de vivre en Afghanistan ou au Yémen. Ce slogan, brandi à tort et à travers, donne une image déformée de la réalité, une image catastrophiste qui occulte les progrès réalisés depuis 50 ans. Les femmes ont fait un sacré bout de chemin depuis les années 70.

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Le mot viol a été effacé des textes juridiques en 1983. La preuve était trop lourde. S'il n'y avait pas de pénétration, il n'y avait pas de viol. Pire, la victime devait résister, sinon on doutait de sa version et on glissait vers le consentement. La victime devenait vite une fabulatrice, une menteuse qui voulait ruiner la réputation d'un homme. Les avocats pouvaient scruter son passé sexuel et l'utiliser pour la discréditer.

C'était avant 1983.

Les mentalités ont changé, la loi a suivi. Le mot viol a été remplacé par agression sexuelle. Il existe trois niveaux de gravité qui vont de l'agression simple à l'agression grave où le coupable blesse, mutile, défigure sa victime ou met en danger sa vie.

Fini l'époque où on déshabillait l'âme de la victime et étalait son passé, insensible au traumatisme qu'elle venait de subir, et où la moindre incartade sexuelle servait de preuve pour la discréditer.

Aujourd'hui, le témoignage de la victime est recueilli par l'équipe des crimes majeurs, division des agressions sexuelles, à la police de Montréal. C'est cette équipe, et uniquement elle, qui s'occupe de ce type de crime. Si le policier juge la preuve assez solide, il acheminera le dossier à un procureur.

Pendant tout le processus, la victime fera affaire avec le même policier et le même procureur. Pas question de répéter son histoire 50 fois. Qu'elle soit vierge ou prostituée, l'avocat de la défense ne pourra pas l'interroger sur son passé. La preuve reposera essentiellement sur le consentement. Pendant son témoignage en cour, elle pourra se cacher derrière un paravent pour ne pas voir son agresseur.

La justice a fait des efforts louables pour faciliter la vie de la victime. Malgré ces progrès, il existe encore des juges d'un sexisme, pour ne pas dire d'une misogynie, abyssal, mais j'ose croire qu'ils font partie de l'exception et non de la règle.

Depuis 1998, le nombre d'agressions sexuelles a diminué de 16 % au Canada, alors qu'il a augmenté de 23 % au Québec. 

Ces chiffres étonnants ne signifient pas qu'il y a davantage d'agresseurs au Québec. Ils démontrent probablement que les dénonciations ont grimpé en flèche. Depuis la courageuse plainte de Nathalie Simard contre Guy Cloutier, de nombreuses victimes sont sorties de l'ombre. L'effet Nathalie Simard est indéniable. Parlez-en aux policiers ou aux procureurs.

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Revenons à la culture du viol. Oui, une femme sur trois a été victime d'agression sexuelle au Québec, comparativement à un homme sur six (car il y a des hommes victimes d'agression) ; 82 % des victimes sont des femmes ; près de huit victimes sur dix connaissent leur agresseur et neuf agressions sur dix ne sont pas déclarées à la police.

Il reste énormément de chemin à faire, c'est une évidence, mais nous ne vivons pas dans une culture du viol.

J'ai parlé à Jocelyne Robert, sexologue et auteure. Elle croit à la culture du viol même si elle admet que l'expression emprunte un raccourci ou deux. « C'est une culture de la tolérance et de la banalisation des violences et de l'exploitation sexuelle des femmes », m'a-t-elle expliqué.

Elle m'a sorti une liste de faits qui renforcent sa définition : l'omniprésence de la pornographie de plus en plus violente ; la présence de publicités où on utilise « quasiment » une agression sexuelle pour vendre des manteaux pour hommes ; l'hypersexualisation des fillettes ; le web où il est possible d'organiser un viol collectif...

Tout cela est vrai, mais cet immense fourre-tout de la culture du viol n'a pas de sens, comme s'il n'existait pas de hiérarchie dans la gravité des gestes posés.

L'expression culture du viol est apparue aux États-Unis dans les années 70. Dans une société de la culture du viol, on réhabilite les agresseurs et on blâme les victimes, on tolère, excuse et même approuve le viol. Je ne reconnais pas le Québec dans cette définition.

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Je ne sais pas si vous avez vu Tout le monde en parle le 16 octobre. Khadija al-Salami, la réalisatrice du film Moi Nojoom, 10 ans, divorcée, était invitée.

Dans son film, elle raconte l'histoire d'une fillette de 10 ans, Nojoom, mariée de force par son père. Elle-même a été mariée à 11 ans et sa propre mère l'a été à 8 ans.

C'est un film touchant, bouleversant. Al-Salami l'a tourné au Yémen, son pays natal, malgré de nombreuses embûches. Nojoom fait partie d'une tribu où les pères vendent leurs fillettes. Ce sont des traditions que personne ne remet en question. Les filles appartiennent à leurs maris, corps et âme. Ils peuvent les violer avec la bénédiction de la société qui n'y voit rien de mal.

C'est ça, une culture du viol.