Il y a plein de choses qui ne marchent pas dans le projet de loi sur le voile intégral déposé mercredi à l'Assemblée nationale. Oups, il ne faut pas dire voile intégral, mais visage à découvert, car le gouvernement a tout fait pour ne pas écrire/dire/chuchoter les mots explosifs burqa, niqab, voile ou musulman.

Pourtant, c'est bien de cela qu'il s'agit : interdire le voile intégral quand on reçoit ou donne des services dans la fonction publique. Le gouvernement préfère les détours sémantiques pour éviter des mots qui ont une charge émotive forte.

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a répété ad nauseam que ce n'était pas un « projet de loi sur les vêtements ». Hier matin, l'animateur Paul Arcand était dans tous ses états. Il a eu beau marteler ses questions une bonne dizaine de fois - des questions claires, simples et précises -, la ministre a refusé de répondre. L'entrevue tournait en rond. Voici un condensé de ce dialogue de sourds.

« Est-ce que le tchador est permis ?, a demandé Paul Arcand.

- On ne légifère pas sur les morceaux de linge, a répondu la ministre.

- Arrêtez de prendre le monde pour des imbéciles !

- Vous me demandez de légiférer sur des hypothèses.

- Ma question est simple : je suis une employée de l'État et je veux porter un tchador. C'est permis ou c'est interdit ? »

Pas de réponse claire. Paul Arcand a poussé un long soupir d'exaspération.

Comme si la ministre n'assumait pas son projet de loi.

On serait exaspéré à moins.

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L'histoire du tchador souligne la complexité de la chose. Il est délicat de jouer dans les eaux troubles de l'identité et de la religion.

Le voile intégral, burqa et niqab, sera interdit si le projet de loi est adopté. Cette disposition touchera non seulement les employés de l'État, mais aussi les gens qui recevront les services. Le gouvernement ratisse large : les écoles, donc les enseignants et les élèves, les cégeps, les universités, les hôpitaux, donc le personnel et les patients, etc. Tout y passe, sauf les villes, une exclusion aberrante. J'y reviendrai.

Donc plus de niqab ni de burqa, qui correspondent à la définition du visage couvert. Et le tchador ? C'est là que le gouvernement se piège en refusant de dire qu'un chat est un chat. Le tchador est à mi-chemin entre le voile intégral et le hijab (ce voile qui cache les cheveux et généralement le cou, mais pas le visage). Le tchador est iranien. C'est une longue pièce de tissu noir qui couvre entièrement la femme de la tête aux pieds, sauf le visage qui reste à découvert. Il serait donc permis, même si la ministre a refusé de répondre à la question de Paul Arcand.

J'ai porté le tchador en Iran. C'est encombrant, agaçant, mais moins contraignant que le niqab ou la burqa. N'empêche, l'image est forte. Le tchador envoie le message d'une femme soumise, cachée sous des mètres de tissu noir. Je comprends l'indignation de l'opposition qui accuse Philippe Couillard d'incohérence. En 2014, il avait dit que le tchador était un symbole « d'oppression de la femme, d'exclusion et de retrait social incompatible avec l'exercice des services publics ».

Comment parler d'« approche ouverte et inclusive », de neutralité religieuse de l'État et d'égalité entre les hommes et les femmes - principes qui sous-tendent le projet de loi - tout en autorisant le tchador ? Une éducatrice dans un centre de la petite enfance ou une enseignante du primaire pourraient s'occuper des enfants en tchador.

Avouez qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

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Autre incohérence : l'exclusion des villes. Montréal n'est pas touché par le projet de loi. Pourquoi ? « Parce que les villes veulent qu'on respecte leur autonomie », a répondu l'attachée de presse de la ministre Vallée.

Cet argument ne tient pas la route. Montréal est une ville multiethnique. C'est un trou inadmissible dans la loi. On va se retrouver avec une province à deux vitesses, avec, d'un côté, des villes où tout est permis et, de l'autre, des services publics où le voile intégral est interdit.

Les universités aussi sont jalouses de leur autonomie, pourtant elles seront assujetties à la loi. À Concordia, certaines étudiantes portent le voile intégral, même si le service des communications affirme le contraire.

L'association étudiante de Concordia est déjà sur le pied de guerre. « Le gouvernement n'a pas le droit de contrôler nos valeurs. On va réagir publiquement », m'a dit le président de l'association, Terry Wilkings.

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Et le crucifix à l'Assemblée nationale ? Pas un mot là-dessus. Pourtant, l'occasion était belle. Le gouvernement affirme que le crucifix fait partie du patrimoine. C'est vrai, mais pas sur le mur de l'Assemblée nationale, pas dans l'antre du pouvoir où les lois sont adoptées.

Il existe un principe sacro-saint en démocratie : une séparation absolue entre l'Église et l'État. Le crucifix, installé par Maurice Duplessis en 1936, n'a pas sa place à l'Assemblée nationale.

Le gouvernement devrait le retirer. Il enverrait un message, un vrai, sur la neutralité de l'État.

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Pourquoi se torturer pour pondre des projets de loi mal ficelés qui soulèvent davantage de problèmes qu'ils n'en résolvent, alors que le gouvernement a le rapport Bouchard-Taylor sous la main ? Pourquoi ne pas appliquer ces recommandations et régler le problème une fois pour toutes ?

Pourquoi ?

Je me le demande.

On s'en reparle à la prochaine crise des accommodements raisonnables.

Car rien n'est réglé.