Le moment était solennel. Lundi, dans le vaste hall de l'hôtel de ville, le maire Denis Coderre donnait son premier point de presse. Face à lui, une quarantaine de journalistes francophones et anglophones, calepin en main, micros tendus.

Denis Coderre a gravi le podium et il a répondu aux questions calmement, sans arrogance ni nervosité.

M. Coderre était de bonne humeur. Il avait laissé son ton grinçant et ses mouvements d'humeur au vestiaire. Pour cause, la veille, il avait été élu maire de Montréal, son rêve, ou plutôt son deuxième rêve, car il aurait préféré être chef du Parti libéral du Canada.

En 24 ans, j'ai côtoyé tous les styles: Jean Doré, Pierre Bourque, Gérald Tremblay, sans oublier ses successeurs éphémères, Michael Applebaum, arrêté pour fraude, et Laurent Blanchard, maire pendant cinq mois.

Montréal a eu droit à tout et à rien pendant 30 ans. La Ville a aussi eu 10 directeurs généraux en 10 ans. Elle est fatiguée, pour ne pas dire épuisée. Elle souffre d'un burn-out de maires et de directeurs généraux sur fond de corruption.

Quel sera le style de Coderre? Bonne question. Un populiste - il est le premier à l'admettre - au caractère parfois rude. Un homme qui a de la poigne et un réseau très étendu. Un maire qui sera capable de mettre son poing sur la table et qui ne s'écrasera pas devant les ministres, contrairement à d'autres que je ne nommerai pas.

La majorité de Coderre est courte: 32% des votes. Ses adversaires, Côté, Joly et Bergeron, en ont recueilli le double, soit 65%. Denis Coderre a dit qu'il a reçu un «mandat clair» de la population. Le mandat est tout sauf clair. De plus, il est minoritaire au conseil municipal: il ne détient que 27 des 65 sièges.

Il devra donc courtiser l'opposition pour faire adopter son programme. Mais Coderre ne croit pas aux partis politiques. Lundi, après le point de presse, je lui ai demandé s'il allait dissoudre son parti. «J'y songe», a-t-il répondu.

M. Coderre veut révolutionner le conseil municipal, qui fonctionne avec des partis politiques structurés depuis des décennies. Son principal adversaire, Projet Montréal, détient 20 sièges. Projet est un parti, un vrai, pur et dur. Deux visions vont s'affronter.

Pour Denis Coderre, Montréal n'est pas un Parlement, mais une administration. Sauf que la Ville n'est pas un gros conseil d'administration. Bien au contraire. Montréal est une machine extrêmement complexe avec ses 28 000 employés, ses 13 syndicats et associations professionnelles et son budget trois fois plus important que celui de l'Île-du-Prince-Édouard.

La présence d'une opposition forte et structurée est essentielle. C'était bien beau, la coalition qui a dirigé Montréal pendant un an, mais elle a créé un effet pervers important, celui d'endormir l'opposition, qui faisait désormais partie du pouvoir. Je ne comprends pas cette marotte anti-partis politiques. Et je ne crois pas aux coalitions où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. L'élection dimanche de 20 élus de Projet Montréal est une excellente nouvelle. Ils seront nos yeux et nos oreilles.

Pour obtenir la majorité, Coderre devra donc faire la cour aux huit indépendants, aux quatre élus de Mélanie Joly et aux six de Coalition Montréal, qui sont orphelins, car leur chef, Marcel Côté, a décidé de jeter l'éponge. Denis Coderre a d'ailleurs l'intention d'appeler Côté pour lui offrir un poste. «J'ai besoin d'un homme comme lui», aurait-il dit.

Les rumeurs parlent aussi de Jacques Duchesneau, qui pourrait être le premier inspecteur général de la Ville, un poste que Coderre a promis de créer pour combattre la corruption. Une bonne prise: M. Net appelé à la rescousse pour faire le ménage à l'hôtel de ville. Est-ce que ce sera suffisant pour faire oublier les anciens élus d'Union Montréal que Coderre a recrutés sans sourciller? Peut-être. En espérant que l'Unité permanente anticorruption ne fasse pas d'autres descentes à l'hôtel de ville.

Si Coderre réussit à bien s'entourer et que l'opposition fait son travail, Montréal pourra enfin respirer. Un peu.