Sylvie Laliberté a vécu dans la honte d'être Italienne. Elle raconte la vie de sa famille dans un petit livre* qui vient d'être publié. Honte parce que son grand-père, qui avait émigré à Montréal, a été emprisonné pendant la Deuxième Guerre mondiale. L'Italie de Mussolini avait décidé de se rallier à Hitler. D'où les camps d'internement à Petawawa, en Ontario. Et la honte d'être Italien.

Dans son livre de 90 pages intitulé Quand j'étais Italienne, Sylvie Laliberté raconte les efforts de sa mère et de sa grand-mère pour effacer leurs origines et devenir des Canadiennes françaises jusqu'au bout des ongles. S'intégrer à tout prix. C'était bien avant l'idée d'une charte des valeurs et la chasse aux signes religieux.

Sa grand-mère a changé son nom. De Malatesta, elle est devenue Malette. Sa tante a laissé tomber le «a» de son nom qui sonnait trop italien - Rosina a été transformé en Rosine -, et la viande hachée et les patates pilées ont remplacé l'huile d'olive et les «fromages qui puent».

La mère de Sylvie Laliberté n'a jamais appris l'italien à sa fille et elle a toujours refusé de lui parler en italien. Elle a milité pour le Parti québécois parce qu'elle se disait que «c'était une très bonne idée, que oui, ça prenait un pays». Elle a même épousé un «vrai beau Canadien qui avait grandi dans les sapins et qui sentait bon le sapin». Et elle a suivi des cours de cuisine. Au menu: pâté chinois, graisse de porc de rôti et pattes de cochon.

La mère de Sylvie Laliberté a tout fait pour effacer ses origines italiennes, mais ce travail a fait des dégâts et laissé des traces. La plus tenace: la honte.

«Bien sûr que j'ai honte, écrit Sylvie Laliberté. La honte transmise d'une maman à ses petits animaux. J'ai honte, un peu toujours et à propos de tout. Honte d'écrire tout ça, d'écrire comme ça.»

Ma mère aussi était Italienne. Si j'écris «était», ce n'est pas parce qu'elle est morte, mais parce que tout ce qui était italien en elle est mort depuis longtemps.

Je ne sais pas si ma mère avait honte d'être Italienne, mais elle a tout fait pour effacer ses origines, sa langue et sa culture. Elle a milité pour le Parti québécois. Elle était en adoration devant René Lévesque et détestait Pierre Elliott Trudeau avec une passion tout italienne.

Elle s'est également mariée à un Québécois pure laine et elle nous a servi de la viande hachée et des patates pilées. Elle a même teint ses beaux cheveux noirs en blond. Et elle ne nous a pas appris l'italien.

Mon père était fier de ma mère qui parlait un excellent italien. Pourtant, je ne l'ai jamais entendu parler italien. Ça fait partie de mes regrets.

Mon grand-père, Leonardo Tassitano, n'a pas été à Petawawa. Il vivait à La Tuque, où il a travaillé pour une usine de pâtes et papier, la Brown Corporation. J'ignore si, lui aussi, avait honte d'être Italien, mais quand ses patrons l'ont appelé «Spain» parce qu'il avait l'air d'un Espagnol et que Tassitano était trop difficile à prononcer, il n'a pas protesté. «Spain» est resté, Tassitano s'est effacé.

Quand on me demande le nom de ma mère, je ne sais jamais quoi répondre. Josephina Tassitano? Joséphine Spain? Ou Josée Ouimet?

Ma mère était une bonne cuisinière. Quand ses filles sont devenues de jeunes adultes, elle a troqué le steak et les patates pilées contre les aubergines farcies. Elle a même fait ses propres pâtes. Plus tard, beaucoup plus tard, elle a tout mélangé, les patates, les aubergines et le steak, dans une bouillie indigeste. Comme ses souvenirs. Tout mélangés. Oubliés. Ça s'appelle l'Alzheimer.

J'aimerais tellement poser des questions à ma mère. Pourquoi cet effacement? Pourquoi disparaître? Pourquoi vouloir s'intégrer à tout prix? Pourquoi renier tous les signes - ostentatoires ou non - de sa culture? Pour être acceptée? Mais il est trop tard pour obtenir des réponses.

Tout ce qu'il me reste de mes racines italiennes, c'est un trou. Un trou vaguement honteux. Non pas la honte de Sylvie Laliberté, mais la honte d'avoir ignoré la culture de ma mère, la honte de ne pas parler italien, la honte d'avoir lâchement tourné le dos à l'Italie qui dormait à l'intérieur de ma mère.

Ma mère a fait du "bon" travail: je ne parle pas italien, j'achète ma sauce à spaghetti au supermarché et j'ai voté pour le Bloc et le Parti québécois pendant des années. Je ne suis pas Italienne, juste une Québécoise devenue pure laine «grâce» au travail d'assimilation de ma mère.

C'est Bernard Drainville qui va être content, j'imagine.

*Sylvie Laliberté, Quand j'étais Italienne, éditions Somme toute, 2013.