Quelque 110 000 morts, 2 millions de réfugiés, plus de 4 millions de déplacés. Un pays sens dessus dessous, enlisé dans une guerre totale où tous les coups sont permis: attentats suicide, armes chimiques, bombardements de civils, tireurs embusqués qui abattent sans distinction hommes, femmes et enfants. Une guerre sauvage, effrayante, comme le monde en a rarement vu.

À l'été 2012, l'Organisation des Nations unies (ONU) a nommé un nouveau médiateur, Lakhdar Brahimi, un homme aguerri, ancien émissaire de l'ONU en Afghanistan et en Irak. Deux bourbiers, deux pays violents. Quelques jours après sa nomination, il a avoué qu'il était "effrayé" par sa mission en Syrie.

Comment ne pas l'être?

Pendant qu'on massacre, la communauté internationale se tâte l'âme en se demandant si elle doit intervenir. Pourtant, le président de la Syrie, Bachar al-Assad, a franchi la fameuse ligne rouge établie par Barack Obama en utilisant des armes chimiques le 21 août. Bilan: 1429 morts, dont 426 enfants. Il subsiste encore un doute, un tout petit doute, sur la responsabilité de Bachar al-Assad. Est-ce vraiment lui qui a lâché le gaz sarin? Ou les rebelles?

Ce n'est pas la première fois que du gaz sarin tue en Syrie. Le 21 août, l'attaque était trop sophistiquée pour venir des rebelles, soutiennent les experts. L'attaque est partie d'une région contrôlée par le régime et elle a gazé des gens qui vivaient dans une zone rebelle. Les services secrets américains ont aussi intercepté les communications d'un haut gradé du gouvernement qui confirmait qu'une attaque à l'arme chimique avait été lancée par Bachar al-Assad.

Il craignait que les inspecteurs de l'ONU trouvent des preuves incriminantes.

Bachar al-Assad n'en est pas à sa première attaque chimique. De plus, il a déjà été accusé de crimes contre l'humanité par une commission d'enquête de l'ONU. Que faut-il de plus? Combien d'autres morts avant que quelqu'un arrête Bachar al-Assad? Combien d'autres images insupportables d'enfants qui se tordent de douleur, l'écume à la bouche, avant d'intervenir?

Bachar al-Assad dirige son pays d'une main de fer depuis 13 ans. Il a succédé à son père, Hafez al-Assad, qui a usurpé le pouvoir lors d'un coup d'État en 1970. Père et fils unis par 43 ans de dictature féroce marquée par des arrestations, de la torture et une absence presque totale de liberté; une dictature soutenue par un réseau de redoutables services secrets, les Mukabarat.

Pourquoi la communauté internationale est-elle prête à fermer les yeux sur les attaques au gaz sarin? Pourquoi ce refus d'intervenir? Parce que l'Occident a peur de cet inextricable bourbier. Il a peur de mettre le doigt dans l'engrenage, peur d'y passer au grand complet, peur d'envenimer la situation et de faire davantage de mal que de bien en débarquant avec ses gros souliers et ses missiles. Sans oublier la lassitude guerrière, l'Afghanistan, l'Irak, les mensonges entourant les armes de destruction massive qui n'ont jamais existé et qui ont servi de prétexte pour faire tomber Saddam Hussein.

Mais c'est surtout la poudrière proche-orientale qui fait peur. D'un côté, les alliés de Bachar al-Assad: l'Iran, le puissant Hezbollah armé qui domine le Liban, la Russie et la Chine. Surtout la Russie, qui tisse des liens étroits avec la famille Assad depuis 40 ans et qui ne veut pas voir des sunnites prendre le pouvoir et perdre ainsi le peu d'influence qu'elle a dans la région. La Russie et la Chine utilisent leur veto pour bloquer toute tentative d'intervention de l'ONU. Jamais les Américains ou les Français n'obtiendront la bénédiction de l'ONU pour frapper la Syrie tant et aussi longtemps que la Chine et la Russie seront là.

Du côté des rebelles, le portrait est complexe: ils sont soutenus par les États pétroliers du Golfe, la Turquie et les pays occidentaux, sans oublier des groupes salafistes purs et durs, certains affiliés à Al-Qaïda, qui se sont greffés aux rebelles.

Au milieu de ce casse-tête explosif, Israël, que l'Iran a juré de rayer de la carte. Est-ce que l'Iran et le Hezbollah vont attaquer Israël, soutenu inconditionnellement par les États-Unis, si Obama frappe la Syrie?

«Le Proche-Orient n'a pas connu une telle épreuve de force depuis la guerre froide», note Xavier Baron, dans son livre sur la Syrie*.

Si la communauté internationale n'intervient pas, Bachar al-Assad se croira tout permis. Il gaze sa population et l'Occident se croise les bras? Il n'en demandait pas tant. L'Occident doit intervenir et affaiblir suffisamment Assad pour le forcer à négocier.

*Xavier Baron. Aux origines du drame syrien, 2013.