Il a menti. Devant un parterre de journalistes. Micros ouverts, caméras allumées. Hier matin, le directeur général de la Ville de Montréal, Guy Hébert, a juré que jamais, au grand jamais, il n'avait demandé la tête du chef de police, Marc Parent.

Il a même eu le culot de dire que c'était un complot du président du syndicat des policiers, qui est à couteaux tirés avec la Ville pour une question d'horaires de travail et de fonds de pension.

Sauf que Guy Hébert a menti. Et le démenti est venu de haut. L'attachée de presse du ministre de la Sécurité publique a dit qu'Hébert avait bel et bien essayé de limoger Marc Parent. Hébert s'est donc fait prendre les culottes baissées. Il s'était peut-être imaginé que le ministre n'oserait pas le désavouer publiquement. Il a osé, Hébert était cuit. Le maire Michael Applebaum a demandé sa démission. Il n'avait pas le choix, Hébert n'avait plus une once de crédibilité.

Il n'est pas seul dans cette galère. Hier, pendant le point de presse, Hébert était flanqué de Jean-Yves Hinse, directeur du capital humain, et d'Alain Bond, contrôleur général, responsable des enquêtes internes.

Est-ce que Hinse et Bond savaient qu'Hébert mentait? Hinse, Hébert et Bond, trois des plus hauts fonctionnaires de la Ville, entraînés dans une grossière histoire de manipulation des médias?

La question est importante, car Hinse vient d'être nommé directeur général par intérim. Je répète ma question: savait-il qu'Hébert mentait aux journalistes?

Hier, à 13h, le maire Michael Applebaum a tout nié. Lui aussi. Parent limogé? Voyons donc! Il a cru son directeur général, sans vérifier avec Québec. Même pas un coup de fil. La Presse a pourtant sorti l'histoire vendredi. Il avait donc amplement le temps d'effectuer les vérifications nécessaires.

À 17h45, le discours d'Applebaum changeait du tout au tout. Il avait vérifié auprès de Québec. «Hébert a été trop loin», a-t-il admis.

Même si Applebaum a fait son mea culpa, il reste des questions. Troublantes. Est-ce qu'Hébert, le plus haut fonctionnaire de la Ville, peut appeler un sous-ministre pour lui demander la tête du chef de police sans d'abord en parler au maire? Si oui, Hébert est un cowboy qui méritait d'être congédié. Si non, l'affaire est grave, car le maire aurait accepté de participer à un putsch contre son chef de police. Et pourquoi? Pour étouffer une enquête. Mais le maire jure qu'il ne savait rien. Comme à l'époque de Gérald Tremblay.

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Hébert n'a pas demandé la tête de Parent parce qu'il n'aimait pas la couleur de ses vestons. Il a essayé de s'en débarrasser parce qu'il avait appris qu'il avait entrepris des vérifications sur lui à propos d'un contrat opposant deux soumissionnaires.  Hébert aurait joué un rôle dans l'attribution du contrat. L'entreprise perdante s'est plainte. Parent en a parlé à Bond, qui en a parlé à Hébert.

Un directeur général ne peut pas appeler le sous-ministre de la Sécurité publique pour lui demander un coup de pouce pour larguer le chef de police. Guy Hébert a même parlé d'un remplaçant.

«Il a été trop loin», a répété le maire à plusieurs reprises pendant le point de presse précipité de 17h45.

Trop loin? C'est un euphémisme. Il a été beaucoup trop loin. On ne vit plus à l'époque de Duplessis et de Drapeau, où la police politique obéissait aux élus et camouflait des enquêtes qui pouvaient les embêter. La Ville édicte les grandes orientations de la police, adopte son budget (600 millions) et propose au ministre le nom d'un chef. C'est tout. Pour le reste, les enquêtes criminelles, les accusations, «l'opérationnel», il doit exister «une stricte indépendance entre le politique et la police», m'a expliqué Benoit Dupont, directeur du Centre international de criminologie à l'Université de Montréal. Et Marc Parent est indépendant. Ce qui a souverainement déplu à Guy Hébert.

Il y avait une telle crise de confiance entre Parent et Hébert que Parent n'allait plus seul à l'hôtel de ville. Il était toujours accompagné. Montréal a déjà assez de problèmes. Guy Hébert est parti. Bon débarras.

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Vendredi, Richard Bergeron, chef de la deuxième opposition - opposition est un grand mot - réduisait toute l'histoire à une «crisette» et à une «bataille de coqs» entre Hébert et Parent. «Tout va bien», m'a-t-il dit. L'Unité permanente anticorruption perquisitionne dans les bureaux de l'hôtel de ville, le directeur général veut la tête du chef de police, la commission Charbonneau n'en finit plus de déterrer des histoires sur Montréal et tout va bien?

Non, Montréal ne va pas bien. L'opposition s'est fait rouler dans la farine. Elle a accepté de former une coalition, mais, obnubilée par le pouvoir, elle a perdu sa capacité d'indignation, son sens critique, son mordant. Au moins, Louise Harel est restée lucide en posant des questions sur cette renversante tentative de putsch.

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Hier, le rédacteur en chef du Journal de Montréal, Dany Doucet, remplissait une pleine page pour descendre en flammes l'histoire de La Presse sur Hébert et Parent, qu'il qualifiait de «pseudo-affaire de putsch». Il appuyait sans réserve la thèse du complot ourdi par le président du syndicat de la police, thèse avancée par Hébert.

Le titre de son pamphlet: «Quand un syndicat veut des têtes».

Qui a écrit son article? Guy Hébert? Pourquoi n'a-t-il pas appelé le bureau du sous-ministre pour vérifier si l'histoire était vraie? Il a préféré donner une leçon de journalisme. Tellement plus facile.