Certains élus ont dû se pincer. Au début du mois, ils étaient de simples conseillers relégués aux banquettes de l'opposition. Jeudi, ils devenaient membres du puissant comité exécutif, l'équivalent du Conseil des ministres.

Sur une estrade installée dans le majestueux hall de l'hôtel de ville, le nouveau maire de Montréal, Michael Applebaum, a présenté les membres de son tout nouveau comité exécutif. Il les a appelés un à un devant une petite foule rassemblée pour l'occasion. Il a donné la moitié des sièges à l'opposition, Vision Montréal de Louise Harel et Projet Montréal de Richard Bergeron, qui obtiennent respectivement trois et deux sièges. Sur un total de 10.

Et ils héritent de dossiers costauds, pas de grenailles, comme les grands projets, l'habitation, le transport, l'urbanisme, la sécurité publique.

Les indépendants, eux, raflent 3 des 10 sièges, dont la présidence qui échoit à Laurent Blanchard, un élu de Vision Montréal qui a dû démissionner et siéger comme indépendant, une exigence de Michael Applebaum.

Et Union Montréal? Trois sièges, alors que Richard Deschamps, successeur désigné de Gérald Tremblay, en exigeait cinq, dont la présidence du comité exécutif. Deschamps était drôlement gonflé de se montrer aussi gourmand, comme s'il refusait de voir que 10 membres de son équipe venaient de claquer la porte pour rejoindre Michael Applebaum et que son parti traînait derrière lui un lourd parfum de scandales.

Applebaum a formé une vraie coalition, sans mascarade ni tour de passe-passe, et il a résisté à tous les pièges, sauf celui d'humilier Union Montréal en lui confiant des postes mineurs. Une humiliation méritée, car quelle légitimité reste-t-il à ce parti accusé d'à peu près tous les péchés devant la commission Charbonneau?

Richard Deschamps, qui aurait été élu maire derrière des portes closes si Michael Applebaum n'avait pas préparé un putsch tranquille, pour reprendre l'expression de mon collègue François Cardinal, pilotait des dossiers importants au comité exécutif sous Gérald Tremblay. Il s'occupait des infrastructures et du développement économique. Jeudi, Applebaum lui a donné les sports et loisirs. Des miettes. Une gifle.

Un comité exécutif de coalition qui va se débarrasser du secret et siéger en public, un maire indépendant, une opposition qui occupe des postes-clés. Parlons-nous de Montréal? Le mois dernier, Union Montréal régnait sans partage sur l'hôtel de ville et Gérald Tremblay était maire. Jeudi, il n'y avait pas que les élus qui se pinçaient. C'est fou comme tout a changé en trois semaines.

Michael Applebaum a été diaboliquement habile et il a fait preuve d'un remarquable flair politique. Il fallait entendre les chefs de l'opposition, Louise Harel et Richard Bergeron, roucouler de contentement hier. Une unanimité rarement vue à l'hôtel de ville. Et il y avait de quoi pavoiser. L'opposition va détenir un pouvoir réel et Applebaum a évité de «paqueter» le comité exécutif avec les fidèles qui l'ont suivi à la suite de sa démission. Seulement deux d'entre eux ont décroché des postes.

L'indépendant/ex-Vision Montréal Laurent Blanchard devient président du comité exécutif. On est loin de la bête politique. Il est plutôt du genre discret. Il intervient très peu au conseil municipal. C'est un homme affable qui n'a pas l'habitude de mettre son poing sur la table. Tout le contraire d'une tête de cochon. Ce n'est pas lui qui fera de l'ombre à Applebaum, qui a d'ailleurs gardé les finances. Blanchard, lui, s'occupera des infrastructures, un dossier pas très sexy, mais drôlement important en ces temps de scandales extrêmes.

Le président est l'homme le plus puissant après le maire. Rappelez-vous Frank Zampino, président du comité exécutif de Gérald Tremblay pendant sept ans et aujourd'hui accusé de complot, fraude et abus de confiance. On parlait de l'administration Tremblay-Zampino.

Ce poste a toujours été vital. Sous Jean Drapeau, c'était l'administration Drapeau-Saulnier, sous Jean Doré, l'administration Doré-Cousineau, etc. Depuis jeudi, on a l'administration Applebaum-Blanchard.

Les élus n'auront pas le temps de réinventer la roue. Ils ne seront au pouvoir qu'un an, soit jusqu'aux élections du 3 novembre 2013. Les Montréalais vont alors élire un nouveau maire. Michael Applebaum, qui jure qu'il ne sera pas candidat, va peut-être renier sa promesse. Qui croit un politicien qui renonce au pouvoir? Denis Coderre sera probablement sur les rangs, Louise Harel et Richard Bergeron aussi, et Union Montréal n'existera peut-être plus. Qui sait. Tout a changé en trois semaines, imaginez un an.

Je n'ai qu'un souhait: qu'il reste quelque chose de cette nouvelle culture qui vient de souffler sur Montréal, de cette vie politique audacieuse que les élus de tous les partis ont inventée en trois semaines.