Dès la première page de son livre, Brève histoire des femmes au Québec*, l'historienne Denyse Baillargeon déboulonne un «mythe tenace». Le Québec, écrit-elle, n'a jamais été une société matriarcale.

«Des commentatrices, comme Denise Bombardier, affirment que le Québec était une société matriarcale, dit-elle. Ça m'énerve! C'est faux! Le matriarcat signifie que les femmes exercent le pouvoir dans la sphère publique. Les femmes n'avaient pas le droit de vote et elles ne pouvaient même pas inscrire leur enfant à l'hôpital sans l'autorisation de leur mari!»

Denyse Baillargeon est une féministe et elle ne s'en cache pas. Au contraire. Elle a écrit son livre dans «une perspective féministe pleinement assumée».

Je l'ai rencontrée à l'Université de Montréal, dans son minuscule bureau juché au 6e étage de la rue Jean-Brillant, entourée de ses livres.

Denyse Baillargeon est une passionnée. Elle s'enflamme quand elle répond à mes questions. Elle a fait son doctorat sur le tard, à 36 ans. Son sujet de thèse: les ménagères pendant la crise des années 30 à Montréal. Elle a enseigné au secondaire et au cégep avant de se retrouver à l'université.

Donc, une brève histoire des femmes qui n'a de bref que le mot. Un livre de 281 pages bien tassées. Elle a survolé les siècles, de l'époque coloniale (17e siècle) à aujourd'hui. Une tâche colossale. Même si les premiers chapitres sont un peu rébarbatifs, surtout le deuxième qui se résume trop souvent à de longues énumérations, le livre reste intéressant. L'écriture est parfois trop académique, mais en dépit de quelques lourdeurs, le style reste vivant et le livre se lit comme un roman, surtout les derniers chapitres, qui couvrent les années 1966 à nos jours, un défi pour un historien qui préfère le recul du temps pour juger et classer les faits.

Les femmes en ont parcouru, du chemin, depuis les premiers jours de la colonie. Avant 1964, les épouses étaient traitées comme des mineures sur le plan juridique. Elles ne pouvaient pratiquement rien faire sans l'autorisation de leur mari.

Quant à l'adultère, une femme pouvait demander la séparation seulement si son mari «entretenait sa maîtresse dans le logis conjugal, alors que le mari n'avait qu'à invoquer les infidélités de son épouse», souligne Denyse Baillargeon.

Ce «double standard» existait, car «la blessure faite au coeur de l'épouse n'est pas généralement aussi vive que celle dont souffre le mari trompé par sa femme». Cette disposition ne sera abolie qu'en 1954.

Sans oublier les lois qui criminalisaient l'avortement. En 1869, une femme qui subissait un avortement risquait une condamnation à perpétuité. En cas de viol, les femmes devaient prouver leur bonne réputation.

Denyse Baillargeon décrit aussi les préjugés entourant le vote des femmes. Henri Bourassa, directeur du Devoir, était horrifié à l'idée qu'une femme puisse voter. En 1918, il a écrit que «la femme-électeur» allait bientôt engendrer «la femme-homme, le monstre hybride et répugnant qui tuera la femme-mère et la femme-femme».

En 1971, les femmes n'ont toujours pas le droit de fréquenter les tavernes et elles ne peuvent pas être jurées dans un procès. En 1971, pas en 1871.

Les femmes ont mené des luttes épiques et acquis des droits qu'elles ont arrachés un à un. Ce sont ces luttes que Denyse Baillargeon décrit.

Le dernier chapitre est le plus passionnant, il couvre les années 1989 à 2010.

1989: une année charnière où Chantal Daigle s'est fait avorter, même si le père s'y opposait et qu'une injonction de la Cour d'appel le lui interdisait. Et Marc Lépine qui a abattu 14 femmes à l'École Polytechnique au nom de sa haine des femmes.

«Daigle et Lépine incarnent le backlash contre les féministes, le ras-le-bol de la société face à leur discours militant», explique Denyse Baillargeon.

Ces années sont marquées par des déchirements. Quatre questions divisent les féministes: la pornographie, l'hypersexualisation des adolescentes, la prostitution et le voile islamique. D'un côté, la tolérance; de l'autre, une condamnation.

Des féministes affirment qu'elles n'ont pas à dicter aux femmes la façon dont elles doivent agir, comme les hommes l'ont fait trop longtemps, qu'elles soient voilées, prostituées ou hypersexuées, croit Denyse Baillargeon. D'autres condamnent une condamnation qui touche la fibre identitaire dans le cas du voile, une sorte de «réflexe xénophobe». Certaines naviguent au milieu en se demandant où elles doivent tracer la ligne.

Où en est le féminisme? Dépassé? Rejeté par les jeunes?

Non, répond Denyse Baillargeon, qui croit, au contraire, que le féminisme est toujours aussi vivant. Assisterons-nous à une troisième vague ou à une ère «postféministe» ? Elle l'ignore. Par contre, elle croit que des «jeunes renouent avec le féminisme radical des années 70, un féminisme qui croit aux luttes anticapitalistes et anticolonialistes».

Mais il lui manque le recul pour bien évaluer la suite des choses. Le fameux recul dont les historiens ont tant besoin.

___________________________________________________________________________

* Denyse Baillargeon. Brève histoire des femmes au Québec, publié chez Boréal et en librairie depuis le 9 octobre. 281 pages.