Hier, 15h30, Jacques Duchesneau arrive au restaurant au pas de course avec une bonne demi-heure de retard. Pantalon sport, blouse noire à manches courtes, visage décontracté même s'il a passé la journée à donner des entrevues et à se battre contre les bouchons de circulation.

Dans sa mallette, ses notes sur le financement illégal des partis politiques. De la dynamite qui a bousculé les travaux de la commission Charbonneau cette semaine.

Les révélations sont renversantes: des organisateurs de partis politiques provinciaux qui demandent de l'argent à des firmes d'ingénieurs, des politiciens municipaux qui marchent main dans la main avec des entrepreneurs, un empire clandestin où circule l'argent sale.

Jacques Duchesneau sort ses notes de sa mallette comme s'il manipulait de la nitroglycérine. Pas question de les couler à des journalistes, comme il l'a fait avec son rapport sur la collusion parce qu'il avait l'intime conviction que le ministre Sam Hamad l'aurait laissé moisir sur une tablette.

- Pourquoi traînez-vous vos notes?

- Parce que je dois voir mon avocat.

Un avocat prudent qui a mis son client en garde: pas question de donner des noms ou de raconter des histoires aux journalistes.

«Je ne peux pas répéter ce que j'ai dit à la commission Charbonneau parce que je ne suis plus protégé par l'immunité, m'explique Duchesneau. Je pourrais me faire poursuivre.»

Il remet soigneusement ses notes dans sa mallette. J'ai tout juste le temps d'apercevoir la page couverture et le titre écrit en gros caractères: Le financement illégal des partis politiques, un système hypocrite où l'influence est à louer et les décisions sont à vendre.

L'avocate du Parti québécois l'a accusé d'avoir agi dans l'illégalité en menant son enquête sans mandat. Duchesneau proteste. Il a rencontré 13 témoins qui lui ont raconté des histoires d'horreur sur le financement des partis politiques. Il s'est contenté de prendre des notes, puis de les donner à la commission Charbonneau.

Illégal? «C'est tellement niaiseux! Voyons donc! Des gens me couraient après, ils voulaient me donner des informations. La Commission a rencontré certains de mes témoins. Ils en ont même filmé un pendant cinq heures.»

Étrange, car la Commission avait l'air tout étonnée de voir les notes explosives atterrir dans sa cour mardi. Duchesneau n'en démord pas, il collabore avec la Commission depuis quatre mois et il lui «refile tout».

Duchesneau s'emporte, lui qui a pourtant réussi à garder son calme pendant son témoignage devant la Commission. «Oui, j'ai mangé des claques cette semaine. Pensez-vous que je me lève le matin en me disant: "De qui je vais me faire détester aujourd'hui? Qui j'écoeurerais bien? " Pensez-vous que c'est ça que je fais dans la vie? Je ne suis pas critique de cinéma, bout de viarge! Je m'attaque à quelque chose de gros, je ne cherche pas la gloire!»

La gloire, le mot est lâché. Son ego est meurtri. Il n'en peut plus des journalistes qui parlent de sa vanité et de son amour pour les caméras. Non, jure-t-il, il ne court pas après les journalistes. «C'est le contraire, ils me demandent de leur donner des entrevues!»

Il rappelle que son travail était dangereux. Il ne s'est pas attaqué à des enfants de choeur, mais à des entrepreneurs corrompus, à des politiciens véreux et à un système puissant qui carbure aux millions de dollars.

Et le danger existe toujours. Il s'entoure de mesures de sécurité qu'il paie de sa poche. Il ne le fait pas pour lui, mais pour sa famille qui a peur.

***

Jacques Duchesneau se souvient du 30 juin 2009. Le maire de Montréal Gérald Tremblay est aux abois. Des odeurs de scandale flottent obstinément au-dessus de son administration et les élections approchent.

Le maire appelle Duchesneau. «Ça va mal, je me fais planter dans les médias. Qu'est-ce que tu en penses? As-tu des idées?»

Une rencontre est fixée deux jours plus tard à l'hôtel de ville. Duchesneau dit au maire qu'il devrait créer une équipe qui enquêterait sur la corruption et qui serait chapeautée par un policier de Montréal. Il lui montre même un diagramme qui détaille les méthodes d'enquête, les cibles visées et l'organisation du travail. Mais attention, le prévient-il, «c'est gros et ça implique beaucoup de monde».

Duchesneau en profite pour le mettre en garde contre certaines personnes de son entourage. Le maire le remercie, il lui donne même une tape dans le dos, puis plus rien, le grand silence. Duchesneau n'a plus jamais eu de nouvelles de Gérald Tremblay.

Le maire se souvient de cette rencontre, m'a dit hier son attaché de presse, Darren Becker. Il se rappelle tout, sauf la mise en garde de Duchesneau sur son entourage. «Si c'était le cas, il l'aurait écouté et il aurait agi.»

C'est la seule histoire que Duchesneau a accepté de me raconter.

***

En sortant du restaurant, Jacques Duchesneau se fait héler par un homme assis sur une terrasse. «On vous aime! On vous adore! Lâchez pas!»

Duchesneau sourit et lui donne une bonne poignée de main, puis il part au pas de course, car il est en retard pour sa prochaine entrevue.

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