Les avocats ont travaillé fort pour essayer de miner la crédibilité de Jacques Duchesneau. Pendant le contre-interrogatoire, il en a arraché. Il a été bombardé de questions sur des microdétails: le choix d'un mot dans son rapport, le libellé d'un paragraphe dans son mandat, une virgule dans son contrat.

Ses deux collaborateurs y ont goûté, eux aussi. L'enquêteur Martin Morin était quasiment au bord des larmes lorsqu'il s'est fait interroger par l'avocat du gouvernement, Benoit Boucher, qui lui crachait ses questions au visage. Au retour de la pause, la présidente de la Commission, France Charbonneau, a rappelé les avocats à l'ordre. «Je ne permettrai pas que le contre-interrogatoire soit fait de façon aussi agressive», a-t-elle dit.

Les avocats ont trouvé des erreurs: un spécialiste des réclamations a travaillé pour Neilson et non EBC. Par contre, les deux firmes ont déjà formé des consortiums.

Une réclamation de 1,1 million faite par Simard-Beaudry. En quoi consistait-elle? a demandé un avocat. L'enquêteur de Duchesneau a été incapable de répondre.

Les estimations dans les plans et devis qui devaient illustrer la collusion avaient été préparées par une municipalité et non par le ministère des Transports qui payait une partie des travaux.

Graves, ces erreurs? Suffisantes pour miner la crédibilité de M. Duchesneau? Non.

L'équipe de Duchesneau a rencontré 500 personnes. En 18 mois, la quinzaine d'enquêteurs a abattu un travail colossal. Ils ont tracé le portrait de 200 entreprises, établi des liens parfois extrêmement complexes entre des entreprises, visité des chantiers, monté des dossiers et décrit les stratagèmes utilisés dans le monde de la construction pour contourner les règles et empocher illégalement des millions de dollars.

Un portrait saisissant décrit dans un rapport tout aussi saisissant. On n'avait pas demandé à Jacques Duchesneau de constituer une preuve béton qui tiendrait la route devant une cour criminelle, mais plutôt de décrire un univers clandestin. Pour reprendre l'expression de Duchesneau: «On m'a demandé une photo, pas un rayon X.»

Tout cela en 18 mois. Et Dieu sait que Jacques Duchesneau ne l'a pas eu facile. Une fois nommé, une fois les promesses de la ministre des Transports oubliées, il s'est retrouvé sans bureau, sans budget, sans pouvoir et sans ordinateur. Il a fallu qu'il se batte.

Ça prenait une tête de cochon comme la sienne pour mener à terme un projet de cette envergure avec aussi peu de moyens. Et c'était un travail à risque. Dans son contrat, une annexe précise qu'il avait droit à une assurance vie, un système de caméras de surveillance à sa résidence et une nouvelle plaque d'immatriculation sur sa voiture pour éviter qu'on retrace son adresse personnelle.

Le rapport Duchesneau n'a pas été écrit sur le bord de la table. Les mots ont été scrutés, les affirmations soupesées et analysées. Quatre hauts fonctionnaires du ministère des Transports l'ont lu trois semaines avant que Duchesneau le remette au ministre. Ils ont décortiqué chaque mot, chaque paragraphe et demandé des correctifs.

Parmi ces quatre fonctionnaires, la sous-ministre adjointe, la responsable des enquêtes internes et la vérificatrice. Sans oublier le chef de cabinet et le sous-ministre qui l'ont lu. Tous ont donné leur feu vert, une fois les correctifs apportés.

Alors oui, le rapport est crédible. Et c'est grâce à l'acharnement de Jacques Duchesneau.

Jacques Duchesneau est un drôle d'animal. Il aime, que dis-je, il adore les feux de la rampe, la notoriété, les caméras.

Il a remis son rapport en septembre 2011. Six mois plus tard, il décidait de mener une petite enquête. Bénévolement. Lui, le policier de carrière qui connaît les lois, a décidé de fonctionner seul comme un justicier, sans mandat et sans être assujetti à un code d'éthique et aux règles strictes qui encadrent les enquêtes. Il s'est cru au-dessus des lois.

Il a rencontré 13 témoins qui lui ont raconté des horreurs sur le financement illégal des partis politiques. Duchesneau a écouté et pris des notes qu'il a lues devant la commission Charbonneau.

C'est là que sa crédibilité a été écorchée. L'avocate du Parti québécois (PQ) a fondu sur lui toutes griffes dehors. Elle l'a accusé d'avoir agi dans l'illégalité. Ce rapport bénévole «affecte notablement sa crédibilité», a-t-elle dit. Un peu plus et elle exigeait son emprisonnement.

Que l'avocat du gouvernement lance de telles accusations, je pourrais comprendre, mais le Parti québécois qui est un allié objectif de Jacques Duchesneau et qui a harcelé Jean Charest pendant deux ans pour qu'il crée une commission d'enquête?

L'avocate a tiré à boulets rouges sur Duchesneau parce que le PQ voulait absolument mettre la main sur ses notes. Le parti a-t-il peur d'être visé par les allégations? A-t-il des choses à se reprocher? Non, jure le leader de l'opposition, Stéphane Bédard. «Je voulais que Duchesneau garde sa crédibilité», m'a-t-il dit.

Même si cette enquête parallèle aux conclusions apocalyptiques a malmené la crédibilité de Duchesneau, un fait demeure, incontournable: ses notes font peur. Elles doivent contenir une once de vérité.