C'est gros. Tellement gros. Presque trop gros. Selon Jacques Duchesneau, le financement illégal des partis politiques est généralisé. «C'est une culture éhontée de pots-de-vin et de corruption», a-t-il dit. Au coeur de cet «empire clandestin», le monde de la construction.

Dans la salle de presse, les journalistes retenaient leur souffle pendant que Duchesneau multipliait les révélations explosives. «Le financement populaire des partis politiques n'existe pas, a-t-il affirmé. Tout l'argent amassé provient de manigances, de stratégies de complaisance et d'arrangements.»

Tout l'argent. Vraiment?

«Les organisateurs des partis politiques passent des commandes aux firmes d'ingénieurs pour obtenir de l'argent», a-t-il ajouté. Et non le contraire. Cette seule affirmation - si elle est vraie - souligne à quel point les politiciens et le monde de la construction marchent main dans la main. Et que ce ne sont pas les méchantes entreprises qui mettent en marche la machine de la corruption, mais les partis politiques «qui passent des commandes».

C'est gros.

Le système est généralisé, a insisté Jacques Duchesneau: «Soixante-dix pour cent de l'argent consacré au provincial par les partis politiques ne vient pas de dons officiels. C'est de l'argent sale qui permet de faire des élections.»

Soixante-dix pour cent. C'est énorme.

«Le problème est très grave aussi au municipal», a précisé Duchesneau.

L'argent «sale» remplit les coffres des partis politiques. Une source anonyme a dit à Duchesneau qu'il y avait «tellement d'argent comptant dans un parti municipal qu'on avait de la misère à fermer la porte du coffre-fort».

«On parle de beaucoup d'argent, a conclu Duchesneau, et c'est ça, cet empire clandestin.» Duchesneau n'a donné aucun nom. Quelles firmes de génie-conseil? Quels entrepreneurs? Quels partis politiques? Votre boule de cristal est aussi bonne que la mienne. Résultat: tout le monde est éclaboussé, au provincial comme au municipal.

Et toutes ses sources sont anonymes.

Du grand Duchesneau avec effet de toge et coup de théâtre. Cet homme n'a vraiment peur de rien. Et il ne fait jamais les choses à moitié. La dentelle et les nuances? Très peu pour lui.

Peut-être que le système est aussi gangrené qu'il le prétend, peut-être a-t-il raison et peut-être que la commission Charbonneau découvrira des choses ahurissantes pendant ses travaux.

Duchesneau a probablement raison sur le fond, mais on peut se poser des questions sur l'ampleur du phénomène.

Un peu sonnée, la présidente de la Commission, France Charbonneau, a interrompu Jacques Duchesneau pendant son témoignage, lui demandant s'il lisait un rapport. «Non, ce sont mes notes», a-t-il répondu.

Il a continué sa petite enquête, sur une base bénévole, après avoir déposé son rapport au ministre des Transports en septembre 2011. Il a rencontré 13 personnes, 13 sources, qui lui ont révélé les secrets de «l'empire clandestin».

Le titre de ses notes, qui font 50 pages, est brutal: Le financement illégal des partis politiques, un système hypocrite où l'influence est à louer et les décisions sont à vendre.

M. Duchesneau a l'art du punch, mais a-t-il celui de la nuance?

Les vraies questions maintenant. Jacques Duchesneau a-t-il raison? Le problème est-il aussi grave et aussi répandu qu'il le dit? Car l'homme n'est pas un virtuose de la virgule. Il brosse plutôt les grandes lignes et il a tendance à s'enfarger dans les détails.

D'ailleurs, le commissaire Renaud Lachance, ex-vérificateur général du Québec, un homme aguerri qui aime les virgules et je dirais même les points-virgules, a fait la vie dure à Duchesneau.

Dans son rapport, Duchesneau explique que l'ingénieur d'une firme autorise un extra de 100 000$, mais il réussit à obtenir le double du ministère des Transports, soit 200 000$. «Il y a donc un 100 000$ blanchi à se partager, affirme le rapport. La firme pourra l'utiliser pour contribuer à des caisses électorales et l'entrepreneur pour payer ses employés au noir.»

«Comment peuvent-ils blanchir l'argent, alors que le Ministère paie avec un chèque?», a demandé Renaud Lachance.

Question élémentaire. On parle d'un chèque du Ministère et non d'argent provenant de la vente de drogue.

L'autre question troublante: si les révélations de Jacques Duchesneau sont justes, comment un système d'une telle ampleur a-t-il pu s'implanter au provincial et au municipal? Peut-on contourner les lois aussi facilement? La police est-elle aveugle au point où des valises bourrées d'argent sale lui passent sous le nez sans qu'elle les voie? Et les politiciens, sont-ils à ce point corrompus?

Quelle est la légitimité de notre gouvernement provincial et des administrations municipales qui auraient - je dis bien auraient - été élus avec de l'argent sale?

C'est gros. Tellement gros. Presque trop gros.

Jacques Duchesneau joue sa crédibilité sur ce coup-là.

Il reste une certitude: le Québec a vraiment besoin d'une commission d'enquête.

Pour joindre notre chroniqueuse, michele.ouimet@lapresse.ca