L'ancien ministre des Transports, Sam Hamad, a dû avoir chaud, hier. Jacques Duchesneau ne l'a pas raté. Il s'est payé la traite en lui balançant quelques phrases assassines.

Pendant 18 mois, Jacques Duchesneau a travaillé comme un dératé avec une petite équipe d'enquêteurs pour pondre un rapport explosif sur la collusion et la corruption dans le monde de la construction. Quand il s'est enfin assis devant le ministre Hamad pour lui présenter sa petite bombe, il a reçu un accueil glacial.

C'était le 1er septembre 2011. Jacques Duchesneau avait beau lancer ses bombes une à une, Sam Hamad restait indifférent. Il regardait par la fenêtre et il se retenait pour ne pas bâiller.

«Il ne m'écoutait pas, a dit Duchesneau hier devant la commission Charbonneau. [...] J'ai senti qu'il décrochait. [...] C'était assez décevant, merci.»

Pourtant, le propos n'était pas banal: le crime organisé implanté dans le monde de la construction, la collusion entre les grandes firmes de génie-conseil, le ministère des Transports à la merci du privé, la découverte d'un univers clandestin d'une ampleur insoupçonnée, l'existence d'un petit groupe qui abuse du système.

Duchesneau n'avait pas besoin de lui faire un dessin. Sam Hamad est ingénieur et il a déjà travaillé pour la firme Roche. Il ne lui parlait pas d'une recette de tarte aux pommes, mais d'un monde qu'il connaissait.

Lorsque Duchesneau lui a tendu un exemplaire de son rapport, Hamad a eu un mouvement de recul, comme si le document avait la lèpre et le choléra. «Il n'a pas voulu mettre ses empreintes digitales dessus», ironisait Duchesneau.

Pourquoi cette indifférence de Hamad? C'était pourtant son ministère qui avait demandé à Duchesneau d'enquêter.

Sam Hamad n'était vraiment pas intéressé ou lui avait-on demandé de ne pas être intéressé? Avait-il reçu une directive? Si oui, d'où venait-elle? Du bureau du premier ministre? Je vous rappelle que Jean Charest avait avoué qu'il n'avait pas lu le rapport, un aveu renversant au moment où la province au grand complet ne parlait que de ça.

À l'époque, la pression pour créer une commission d'enquête était énorme, et Jean Charest s'y opposait avec la dernière des énergies. Il savait que le rapport Duchesneau allait mettre le feu aux poudres.

Question troublante: pourquoi le gouvernement a-t-il embauché Jacques Duchesneau, une tête forte, un électron libre qui n'obéit à personne, s'il voulait étouffer l'affaire et enterrer le rapport dans un troisième sous-sol fermé à double tour? Hier, devant la commission Charbonneau, Duchesneau a avoué sans sourciller qu'il avait «coulé» son rapport à une journaliste. «On n'a pas fait tout ce travail pour que le rapport finisse sur une tablette, a-t-il expliqué. Après ma rencontre avec le ministre Hamad, je savais qu'il finirait sur une tablette.»

Le gouvernement croyait-il vraiment que Duchesneau laisserait son rapport disparaître sans protester?

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Hier, Jacques Duchesneau a aussi réglé ses comptes avec TVA et le Journal de Montréal. Il leur a reproché d'avoir publié et republié une nouvelle - fausse, a-t-il insisté - sur le financement illégal de son parti en 1998, au moment où il briguait la mairie de Montréal.

L'histoire a d'abord été publiée en juin 2010, a raconté Duchesneau, puis de nouveau quatre mois plus tard, le 18 novembre. La nouvelle a eu de l'impact. Duchesneau a immédiatement été convoqué au bureau du ministre Hamad. Les deux hommes ont eu une discussion «musclée». Hamad voulait le suspendre, Duchesneau s'est rebellé. «Je n'ai rien à me reprocher», a-t-il insisté. Le ministre lui a répondu: «Nous sommes dans le domaine de la perception.»

Ils ont finalement trouvé une entente: Duchesneau allait se retirer. Pendant ce temps, le Directeur général des élections enquêterait sur les allégations.

Trois mois plus tard, Duchesneau a été blanchi et réintégré dans ses fonctions, mais l'expérience lui a laissé un goût amer. Et il l'a toujours sur le coeur.

Il en avait déjà parlé à l'émission Tout le monde en parle en septembre 2011. Il avait affirmé que des journalistes l'avaient intimidé, sans nommer personne. Quelques jours plus tard, Duchesneau m'avait donné des noms: Paul Larocque et Jean Lapierre, de TVA, et Andrew McIntosh (publié dans le Journal de Montréal).

Les journalistes s'étaient défendus. «On fait notre travail de façon sérieuse», m'avait dit McIntosh. «Je vous mets au défi de trouver une seule de mes chroniques qui soit intimidante», avait ajouté Lapierre.

Peu importe les dénégations, Jacques Duchesneau avait le crachoir, hier. Il en a profité pour remettre cette vieille histoire sur le tapis. Et régler ses comptes.