Les enquêteurs de la police de Montréal sont fatigués, écoeurés. La loi spéciale en a rajouté une couche. Elle leur est tombée dessus comme une tonne de briques. Après son adoption, un vent de découragement a soufflé sur eux, car ils savaient ce qui les attendait: davantage d'arrestations, plus d'heures de travail, plus de nuits à bosser.

Les enquêteurs ont la mèche courte. «Tu peux finir à 3h du matin et recommencer tôt le lendemain.»

C'est un employé du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui me l'a dit. Jeune trentaine, le coeur plutôt à gauche, il a accepté de me confier ses états d'âme. Je l'ai rencontré la semaine dernière dans un café du centre-ville. Il m'a raconté le quotidien des enquêteurs.

Le soir, ils attendent les manifestants qui ont été arrêtés. Quand ils arrivent au centre opérationnel, les enquêteurs vérifient s'ils ont un dossier, puis ils leur donnent une contravention.

Certains soirs sont tranquilles, d'autres agités.

La soirée débute avec une réunion. Ils sont une bonne douzaine autour de la table. Le responsable de la planification répartit le travail, puis les enquêteurs attendent. Ils écoutent les ondes radio ou regardent la télévision, RDI et LCN. Est-ce qu'il y aura de la casse? Des têtes brûlées? Des arrestations? Si oui, ils travaillent jusqu'au milieu de la nuit.

«Ah non! On va finir tard!» C'est ce qu'ils disent quand ils voient des vitrines fracassées sur RDI.

Ils sont donc fatigués, écoeurés. Et plusieurs ont des préjugés.

«Que pensent-ils des manifestants? ai-je demandé à mon trentenaire au coeur plutôt à gauche.

Plusieurs les voient comme des enfants-rois, des bébés gâtés qui ont des iPhone, qui voyagent et qui, en plus, veulent se faire payer leurs études.

Et Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSE?

Ils le trouvent dangereux. Ils le voient comme un agitateur, un communiste. Certains lui prêtent des intentions, ils pensent qu'il prépare une révolution politique. Ils le haïssent, une haine profonde.»

Après l'adoption de la loi spéciale (78), Gabriel Nadeau-Dubois a lancé un appel à la désobéissance civile. Les enquêteurs ont interprété ses propos comme une menace, un encouragement à la violence.

Ils ne sont pas tendres non plus avec Martine Desjardins, présidente de la FEUQ. Certains lui donnent un surnom peu flatteur. Du genre qui ne s'écrit pas.

Bourrés de préjugés, les policiers? «Il y en a 4500 à Montréal, nous ne sommes pas à l'abri des propos irrespectueux, explique le porte-parole de la police, Ian Lafrenière. Ces propos sont déplorables, inacceptables et ils ne reflètent aucunement nos valeurs.»

Revenons au jeune du SPVM qui laisse son café refroidir pendant qu'il me raconte les longues soirées des enquêteurs. Ils jasent en regardant les écrans de télévision, où ils voient des milliers de manifestants défiler dans les rues de Montréal.

«Il n'y a pas de débats d'idées, que des généralités, explique-t-il. Si un citoyen ordinaire se fait arrêter, ils se demandent ce qu'il fait au milieu des manifestants. Ils se disent: Mais qu'est-ce que ce type fait dans la rue à perdre son temps? Les policiers font des bons salaires, ils vivent souvent en banlieue. Ils ne comprennent pas toute cette agitation, ça les dérange profondément.»

Un certain climat de paranoïa s'est installé. «Les policiers se font dire que des groupes anarchistes les prennent en photo et montent des banques de données.»

Des policiers se sentent menacés. Et pour cause. Les coordonnées personnelles de l'un d'eux ont été affichées sur un babillard de l'UQAM. Sa famille est protégée par des policiers. D'autres sont intimidés sur le web.

Près de 80% des Québécois pensent que les policiers font du bon travail, selon le dernier sondage CROP. Ils ont la cote, même s'ils dérapent parfois en abusant de la matraque et du gaz poivre.

Pour l'instant, leur image tient le coup. Il faut dire que leurs préjugés sont rarement étalés sur la place publique. Sauf lorsqu'un employé du SPVM décide de se vider le coeur.