Mardi, deux fédérations étudiantes, la FECQ (cégeps) et la FEUQ (universités), ont convoqué les journalistes pour présenter leur contre-proposition à la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp. Car eux aussi négocient désormais sur la place publique. C'est le gouvernement qui leur a donné l'exemple. La semaine dernière, la ministre a expulsé la CLASSE des discussions «parce qu'elle n'avait pas respecté la trêve». C'est vrai qu'il y avait eu des manifestations, mais la CLASSE ne les avait pas organisées.

La ministre a balayé ce «détail» d'un revers de main. Pour elle, la CLASSE = radicaux = têtes brûlées. La CLASSE a donc été expulsée de la table des négociations et tant pis pour les 170 000 étudiants en grève qui croyaient naïvement que le conflit allait se dénouer.

Deux jours plus tard, le premier ministre Jean Charest, accompagné de Mme Beauchamp, a convoqué les médias pour présenter sa solution qui tourne, en gros, autour de la bonification des bourses.

Mardi, c'était donc au tour de la FECQ et de la FEUQ. La ministre a rejeté leurs offres. Par médias interposés. Encore. Et aujourd'hui, c'est la CLASSE qui convoque les journalistes pour présenter sa solution.

Une aberrante partie de ping-pong.

L'espace public est devenu une immense table de négociations. Plus broche à foin que ça, tu meurs.

La FECQ et la FEUQ ont proposé, entre autres, de geler les droits de scolarité à 2168$ par année, le tarif actuel. On est loin des 3946$ du gouvernement.

Ce matin, la CLASSE va aussi proposer que les droits soient gelés, mais au niveau de 2007, c'est-à-dire avant la hausse annuelle de 100$ décrétée par Québec. Une année à l'université coûterait donc 1668$, une baisse de 30%.

Une baisse, alors que le gouvernement tient, comme à la prunelle de ses yeux, à sa hausse de 75%, gonflée à 82% depuis qu'elle est étalée sur sept ans. L'écart est gigantesque, abyssal. Insurmontable.

La CLASSE rêve en couleurs et en trois dimensions.

Pour la première fois depuis le début du conflit, le front commun des étudiants s'effrite: FECQ-FEUQ d'un côté, CLASSE de l'autre. Une fissure. Le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, la minimise. «Le mouvement étudiant est pluriel, m'a-t-il dit. La ministre aura plusieurs solutions devant elle.»

Pluriel, je veux bien, mais dans la vraie vie, ça s'appelle une brèche dans la solidarité qui avait, jusque-là, tenu le coup.

Pour la première fois aussi, la possibilité d'annuler le trimestre circule (lire le texte de ma collègue Pascale Breton). Du jamais vu. Les étudiants risquent gros.

Et les manifestations dérapent. Les casseurs, le Black Bloc et la CLAC, notamment, s'amusent à foutre le bordel. Ils se nourrissent de violence et d'anarchie.

Le mouvement de protestation est en train de se transformer en un immense fourre-tout. Mardi, 200 artistes ont convoqué un point de presse pour appuyer la grève. Le propos a vite glissé des droits de scolarité à une critique en règle du gouvernement Charest: Plan Nord, gaz de schiste, corruption. Même Stephen Harper a été égratigné.

Dans la salle, les artistes applaudissaient à tout rompre. Le metteur en scène Dominic Champagne était déchaîné. Il a dit qu'il ne fallait pas tout réduire à une question de droits de scolarité. «Je suis en criss! Je suis en feu! Je suis indigné!», a-t-il lancé à la foule en délire.

Demain, le conseil général du Parti libéral, qui ouvre ses portes à Victoriaville, va attirer des opposants de tous horizons: étudiants, bien sûr, mais aussi syndicats, féministes et écologistes qui vont dénoncer non seulement la hausse des droits de scolarité, mais aussi la taxe santé, l'augmentation des tarifs d'électricité, etc.

Jean Charest se réjouit peut-être en voyant le mouvement s'égarer et s'éparpiller, mais il reste une réalité incontournable: le gigantesque ras-le-bol d'une importante partie de la population devant sa gestion erratique des dossiers chauds.

Le taux d'insatisfaction des électeurs ne bouge pas depuis plusieurs mois: il colle à 70%.

Hier, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a lancé un appel aux dirigeants des universités et des cégeps: les injonctions, a-t-il dit, doivent être respectées. Actuellement, elles ne le sont pas. «C'est un problème nouveau et grave.»

Ah oui, respectées? Et comment? En demandant aux policiers de casser les piquets de grève? En matraquant les étudiants? En les encourageant à se battre les uns contre les autres, les rouges d'un côté, les verts de l'autre?

Et une fois que le cégep ou l'université aura ouvert ses portes à coups de matraque et que les policiers auront quitté les lieux, qui va assurer la sécurité des étudiants et du personnel?

Le président de la Fédération des cégeps, Jean Beauchesne, est inquiet. Obliger un cégep à ouvrir ses portes, a-t-il dit, est «dangereux».

Les cégeps et les universités sont coincés entre un ordre du tribunal et la sécurité des étudiants et des professeurs. Devant ce dilemme, ils ont choisi la sécurité. Une sage décision.