Vendredi, Jean Charest et Line Beauchamp ont court-circuité les leaders des fédérations étudiantes en s'adressant directement à la population. Des leaders dûment mandatés, pas des usurpateurs.

Encore une fois, le gouvernement est passé au-dessus de leur tête, comme le 5 avril lorsque Line Beauchamp a annoncé qu'elle bonifiait le programme de prêts. Les leaders étudiants n'avaient pas été mis au parfum. Un point de presse et bing bang! c'est à prendre ou à laisser.

Vendredi, donc, Jean Charest et la ministre de l'Éducation, Mme Beauchamp, se sont présentés devant les journalistes pour annoncer de nouvelles mesures touchant les bourses.

Des mesures intéressantes qui ne coûteront pas un sou au gouvernement, car il pige dans un crédit d'impôt pour les financer. Québec diminue de 39 millions de dollars le crédit d'impôt accordé aux étudiants pour le transformer en bourses. Au total, les étudiants n'auront pas davantage d'argent. Le gouvernement prend dans une poche pour en mettre dans l'autre. Mais il existe des variations à l'intérieur de cette opération de vases communicants. Les plus riches vont recevoir moins d'argent en crédits d'impôt et les plus pauvres vont recevoir des bourses plus costaudes. Un transfert de richesse.

L'étudiant qui vit chez ses parents dont le salaire familial est de 45 000$ aura droit à une bourse beaucoup plus généreuse. Elle passera de 193$ à 5113$. Par contre, ses droits de scolarité vont monter en flèche: de 2168$ à 3946$. Et l'étudiant ne doit pas travailler.

La hausse de 75% est étalée sur sept ans, plutôt que cinq. Un bon point. Par contre, Québec va indexer les droits de scolarité de 2,1% à partir de 2017. Mine de rien, les droits vont augmenter, même après la hausse de 75%. Et ils montent déjà de 50$ par trimestre depuis 2007. Le gel ne fait plus partie du décor depuis de nombreuses années.

La facture va donc grimper, grimper et grimper.

Le fossé entre le gouvernement et les étudiants est abyssal. Ils ne parlent pas la même langue: d'un côté, la gouvlangue, de l'autre, la grèvelangue, pour parodier George Orwell qui, lui, parlait de novlangue et d'ancilangue dans son livre coup-de-poing, 1984.

Les étudiants réclament toujours le gel; le gouvernement, lui, tient mordicus à sa hausse de 75%. Étalée sur sept ans et non cinq, c'est vrai, mais le montant ne bouge pas d'un iota: 75%. C'est à prendre ou à laisser. Encore.

On ne touche donc pas au coeur du problème: les droits de scolarité, même si l'accessibilité a été améliorée avec les annonces récentes sur les prêts et bourses. Il faut être de mauvaise foi pour ne pas le reconnaître.

La CLASSE a déjà rejeté l'offre de vendredi. Les autres fédérations, FECQ (cégeps) et FEUQ (universités), consultent leurs membres. Mais le résultat de cette consultation est écrit dans le ciel. Les leaders préparent déjà une contre-attaque.

Cette grève, unique en son genre - l'impact des réseaux sociaux où une nouvelle voyage plus vite que son ombre, l'appel aux tribunaux avec la pluie d'injonctions, l'ampleur et la durée historique du conflit, les dérapages avec les casseurs armés de bâtons de baseball, les policiers qui ont pris le mors aux dents et les médias étrangers qui jettent un regard médusé sur ce printemps qu'on qualifie d'érable à défaut d'arable - , bref, cette grève unique n'a plus de fin. Elle s'étire encore et encore. Et elle est ponctuée de manifestations qui tournent parfois à la violence.

Cul-de-sac, impasse, blocage, fouillez dans votre dictionnaire de synonymes.

Les fédérations étudiantes veulent déposer une contre-offre aujourd'hui ou demain: des mesures pour financer le gel et une demande pour une médiation. J'ai des gros doutes sur leurs chances de succès. Hier, Line Beauchamp a dit que le recours à un médiateur était «peu opportun».

Le gouvernement n'est pas en mode écoute. Les sondages lui indiquent que la majorité de la population appuie la hausse, mais approuve-t-elle la gestion malhabile, voire provocatrice de la grève? Pas sûre.

Un mot sur le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, qui a accusé le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, d'encourager la violence, jeudi dernier.

Le lendemain, il a avoué qu'il était allé trop loin. «Mes paroles sont peut-être trop sévères, je peux le reconnaître», a-t-il dit à Paul Arcand.

Pas facile pour un ministre de reconnaître qu'il a perdu les pédales. Il faut dire que Paul Arcand l'a secoué comme un pommier avant de lui arracher cet aveu. Peu d'hommes politiques résistent au redoutable morning man.

Pendant que le conflit s'étire, des étudiants décrochent. La Fédération des cégeps est incapable d'en évaluer le nombre. À ces décrocheurs vont probablement s'ajouter les élèves faibles qui vont en arracher quand les cours vont reprendre, des cours au rythme accéléré pour boucler le trimestre au plus vite.

«Le rythme va être tellement rapide qu'il va y avoir des abandons», a reconnu la porte-parole de la Fédération des cégeps, Caroline Tessier.

Et plus la grève s'éternise, plus le rythme du rattrapage sera infernal.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca