Léo Bureau-Blouin chuchotait quasiment au téléphone. Il n'a pas participé à la manifestation d'hier à Montréal, même s'il est le président de la Fédération étudiante collégiale (FECQ).

«Je ne suis pas le bienvenu, a-t-il dit en baissant la voix. Vous avez lu leur convocation? Ils ont écrit: «Nous voulons un mouvement autonome, libre de l'influence des partis politiques et des têtes dirigeantes des fédérations étudiantes. Ne laissons personne nous dicter la marche à suivre!»»

La «tête dirigeante» Léo Bureau-Blouin a donc décidé de ne pas se pointer. Même chose pour la présidente de la FEUQ (Fédération étudiante universitaire), Martine Desjardins. «On ne participe pas à la manif, c'est la CLASSE qui l'organise», a-t-elle précisé.

Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSE connue pour ses positions radicales, a nié. «Nous n'avons rien organisé. C'est une initiative de certains de nos membres. Nous avons relayé l'information, c'est tout.»

Lui aussi ne s'est pas mêlé aux 1500 étudiants masqués qui ont bloqué le centre-ville.

Ce sont des jeunes de l'UQAM qui ont organisé la marche. Pas les sages étudiants des sciences de la gestion qui boudent la grève et suivent religieusement leurs cours, mais ceux inscrits en sciences humaines.

La CLASSE, la FECQ et la FEUQ, les trois associations qui regroupent près de 300 000 étudiants et cégépiens, pilotent la grève qui paralyse cégeps et universités depuis 45 jours. Ils ne contrôlent pas tout. Bien au contraire. Ils n'ont aucune prise sur les casseurs qui ont fracassé des vitrines ou sur les anarchistes du Black Bloc, chômeurs, étudiants et travailleurs, qui luttent contre le «système violent et oppressif».

Ils ne contrôlent pas non plus les dizaines de manifestations organisées tous les jours partout dans la province. Hier matin, des élèves du cégep du Vieux Montréal ont envahi le palais de justice. La FEUQ, la FECQ et la CLASSE étaient, encore une fois, absentes.

Facebook est un outil puissant pour mobiliser les étudiants. Mais c'est aussi une arme à deux tranchants pour les leaders. «Nous n'avons pas le monopole des communications avec nos membres», reconnaît Léo Bureau-Blouin, de la FECQ.

Difficile de garder le contrôle d'une grève au temps de Facebook.

Le mouvement étudiant est tiraillé par des tensions. Lors de la manifestation monstre du 22 mars, les leaders des trois associations se sont chamaillés autour des discours. «Il y avait beaucoup de fatigue et quelques problématiques», a expliqué Martine Desjardins, de la FEUQ.

Divisé, le mouvement étudiant? Peut-être, mais il est surtout éclaté et multiforme.

Et le gouvernement Charest le sait.

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Parlons maintenant du dégel des droits de scolarité. Un dégel brutal marqué par une hausse de 75% étalée sur cinq ans.

Le gouvernement répète que «les étudiants doivent faire leur juste part».

Je vous avoue que je me sens un peu insultée comme contribuable. La juste part. Ah oui? Est-ce que le gouvernement oublie que plusieurs parents se saignent pour payer les études de leurs enfants et que ces mêmes parents donnent plus que leur juste part? Le ministre Bachand a-t-il oublié qu'il nous a matraqués avec des hausses de tarifs dans son budget 2010 et que la TVQ est passée de 7,5% à 9,5%?

Et c'est ce même gouvernement qui verse, sans sourciller, 200 millions à l'empire Quebecor pour la construction d'un amphithéâtre. Alors, on se calme avec la juste part.

Et que dire des universités qui jettent des millions par les fenêtres pour acheter de la publicité ou verser de grasses indemnités de départ à leurs recteurs. Sans oublier la folie immobilière qui les a poussées à construire des pavillons et des campus. En 10 ans (de 1997 à 2007), la part de leurs budgets consacrée aux immobilisations a flambé, passant de 26% à 45%.

Le gouvernement répète que les droits de scolarité sont les plus bas au Canada, mais il omet de dire que certaines provinces ont commencé à faire marche arrière. La Nouvelle-Écosse, par exemple, a décrété plusieurs baisses au cours des dernières années.

Car il y a un prix à payer pour des droits de scolarité trop élevés: ils finissent par créer une barrière. Qui osera étudier en philosophie ou en musique, sachant qu'il finira son baccalauréat avec des dettes de 20 000$?

Qui, M. Charest?

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Le 22 mars, même si entre 100 000 et 200 000 personnes ont envahi les rues de Montréal pour protester contre la hausse des droits de scolarité, le gouvernement est resté de glace.

Des étudiants commencent à se poser des questions sur la stratégie de leurs leaders. «Quand je dis à mes membres de rester pacifiques, certains protestent, a expliqué Léo Bureau-Blouin, de la FECQ. On arrive à un point où les associations ont de la difficulté à garder le contrôle de leurs troupes, surtout avec les réseaux sociaux et Facebook.»

Les présidents des deux fédérations et le porte-parole de la CLASSE ont envoyé des courriels et des lettres au bureau de la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp. Ils n'ont obtenu aucune réponse, même pas un accusé de réception. Et quand ils appellent, la réponse est glaciale.

Hier, Line Beauchamp a entrouvert une petite porte, une micro-ouverture qui ne convaincra pas les étudiants de retourner en classe: une bonification des prêts et bourses, mais pas l'ombre d'une baisse. Elle est prête à discuter, mais les étudiants doivent d'abord renoncer au gel.

Qu'est-ce que la ministre attend pour entamer une vraie discussion? Que le mouvement étudiant dérape et se discrédite?

Le gouvernement Charest a déjà prouvé son immense capacité à résister aux demandes de la population. Pensez à la commission d'enquête sur la construction.

Sauf que les étudiants et élèves n'ont plus beaucoup de temps. Au cégep et à l'université, les semestres vont déborder en mai et en juin. Et ça, ça risque de coûter drôlement cher aux contribuables.