Dimanche, le verdict tant attendu est tombé: coupables de meurtre prémédité. Les trois: le père, Mohammed Shafia, la mère, Tooba Yahya, et le fils, Hamed. Coupables d'avoir tué les trois filles de la famille et la première femme de Mohammed.

Le mobile: laver l'honneur de la famille bafoué par les filles qui refusaient de vivre selon les traditions afghanes. Elles portaient du linge sexy et fréquentaient des garçons. Rien de grave aux yeux des Occidentaux, mais en Afghanistan, c'est l'ultime outrage, le déshonneur.

L'honneur? Connais pas, a juré Tooba Yahya pendant le procès. «J'en ai entendu parler seulement au Canada, après notre arrestation, a-t-elle dit. Pendant les 21 ans où j'ai vécu en Afghanistan, je n'ai jamais entendu parler d'un père ou d'une mère assez stupide pour faire ça.»

Faire ça? Tuer ses enfants au nom de l'honneur.

Je ne l'ai pas crue une seconde. Le jury non plus.

Je ne l'ai pas crue parce que j'ai rencontré sa soeur à Kaboul. Elle m'a parlé du père de Tooba Yahya, un homme très religieux qui ne badinait pas avec l'honneur.

Et je ne l'ai pas crue parce qu'en Afghanistan, l'honneur est inscrit en filigrane dans tous les gestes de la vie. Un homme n'est rien s'il ne défend pas son honneur. Dans ce pays tourmenté, c'est une évidence, comme le nez au milieu du visage.

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Je vais vous raconter une histoire qui en dit long sur l'importance de l'honneur.

Farida avait 14 ans lorsqu'elle a fui son village. Elle était mariée depuis deux ans à un homme de 35 ans, déficient intellectuel, sourd et muet. C'était le fou du village. Quand Farida se promenait dans la rue, les gens disaient: «Tiens, la femme du fou.»

Elle n'avait que 12 ans lorsqu'elle a épousé cet homme grand et gros qui la terrorisait. Son père, sourd à ses supplications, l'obligeait à rester avec son mari. Une femme ne quitte pas le domicile conjugal, sinon elle déshonore sa famille, lui répétait-il. Elle vivait dans un village pachtoun, situé dans la conservatrice province de Khost.

À 12 ans, Farida était encore une petite fille. Son mari ne l'a pas touchée, mais lorsqu'elle a eu 14 ans, sa belle-mère a voulu la jeter dans les bras de son fils. C'est là que Farida a fui. C'était la fuite ou le suicide.

Farida a fui à toutes jambes. Elle a passé trois jours à errer dans les montagnes. Des policiers ont fini par l'arrêter. Ils connaissaient son village, ils savaient que son père, membre d'un clan puissant, la tuerait sans hésiter. Ils l'ont donc envoyée à Kaboul dans un refuge. C'était en 2005.

J'ai rencontré Farida six ans plus tard à Kaboul, en mars 2011. Elle vivait toujours dans le même refuge. Les hommes de son village n'avaient pas abandonné la chasse, ils cherchaient encore Farida pour la tuer, car leur honneur n'avait toujours pas été lavé.

Elle avait 20 ans. Elle était grande et mince et des mèches de cheveux dépassaient de son voile noir qui couvrait à peine ses cheveux.

L'adolescente terrorisée avait fait place à une jeune femme décidée, prête à défendre sa peau becs et ongles.

Farida m'avait raconté que les hommes de son village l'avaient pourchassée jusqu'à Kaboul. Ils avaient utilisé leurs contacts pour alerter le gouvernement. Ils voulaient Farida. À tout prix. Sauf que les refuges sont inviolables et leur emplacement, ultra-secrets. Il y en a quatre à Kaboul. Chacun héberge entre 35 et 40 femmes. Certaines y restent quelques mois, d'autres comme Farida, des années.

Le dossier de Farida s'est rendu jusqu'au bureau du président Hamid Karzai. Une réunion a été organisée. Étaient présents des députés et des hommes du village, dont le père de Farida qui exigeait son retour. Farida a refusé. «Si je reviens, vous allez me tuer!» leur a-t-elle dit d'une voix forte.

Mary Akrami, la directrice du refuge, était présente à cette réunion. Elle a été soufflée par l'audace de Farida. Elle avait averti le gouvernement. «Si vous remettez Farida à sa famille, je vais alerter les médias internationaux!»

Devant la volonté des deux femmes, les hommes ont reculé et Farida est retournée dans son refuge. C'était en 2007.

Farida a demandé le divorce. Son dossier s'est rendu jusqu'en Cour suprême. Quand je l'ai rencontrée, elle attendait le verdict avec anxiété. Elle m'avait dit qu'elle ne voulait pas quitter l'Afghanistan. Elle s'accrochait à son dernier espoir: une décision favorable de la Cour suprême.

La semaine dernière, j'ai appelé Mary Akrami à Kaboul pour avoir des nouvelles de Farida. Elle a obtenu son divorce, une victoire renversante dans ce pays ultra-conservateur. Mais la victoire est amère.

«Farida est libre, m'a dit Mary Akrami, mais elle ne peut pas retourner dans son village et elle ne peut pas se promener librement dans Kaboul, car son père la cherche encore. Sa vie est en danger. C'est une divorcée, elle est donc rejetée par la société.

Elle doit quitter le pays, mais nous n'avons pas d'argent et nous ne savons pas à qui demander de l'aide.»

Farida est dans un cul-de-sac. Une chose est certaine, elle refuse de passer sa vie dans un refuge. Et elle ne veut pas mourir.

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Évidemment, tous les cas ne sont pas aussi tragiques. Plusieurs femmes sont heureuses, mais lorsque leur mariage dérape, la police et les juges ferment les yeux la plupart du temps. À la tribu ou au clan de régler les problèmes conjugaux. Oui, les hommes et les femmes sont égaux dans la Constitution, mais dans la vraie vie, elles sont à la merci de leur mari. Un bon mariage, une bonne vie, un mauvais mariage, une vie d'enfer. Et une société qui ferme les yeux.

Tout cela, au nom de l'honneur.

Alors oui, l'honneur existe en Afghanistan.