Les fusions. Le choc de 2001. Pour les opposants, c'était la fin du monde. Le maire d'Anjou, Luis Miranda, a même parlé de «génocide municipal». Aujourd'hui, M. Miranda est toujours maire d'Anjou. Il a survécu au «génocide», sauf que sa ville a été rétrogradée au rang d'arrondissement.

Les anglophones étaient particulièrement réfractaires aux fusions. Ils avaient peur d'être noyés dans un grand tout francophone, peur de perdre la maîtrise de leurs institutions, peur de ne plus pouvoir s'exprimer en anglais dans cette nouvelle ville dessinée par la ministre des Affaires municipales, Louise Harel. Une péquiste. Un péché impardonnable pour les anglophones.

Bravant le mécontentement, le gouvernement Bouchard, Louise Harel en tête, a lancé le grand mouvement des fusions. Montréal, Québec, Saguenay, Longueuil, et j'en passe, ont été regroupés, de gré ou de force.

À Montréal, après l'onde de choc, la Ville s'est organisée. Les Peter Yoemans et Robert Libman ont fini par y croire. Pourtant, lorsqu'ils étaient maires de Dorval et de Côte-Saint-Luc, ils avaient farouchement combattu les fusions. Et «farouchement» est un mot faible.

La mayonnaise a donc commencé à prendre. Gérald Tremblay a nommé des têtes fortes dans son cabinet: Yoemans, Libman, Bossé, ex-maire de Verdun. Ils ont retroussé leurs manches et commencé à bâtir la nouvelle Ville, eux, les farouches opposants de la veille. Le Montréal fusionné commençait à prendre forme et à rallier ses détracteurs lorsque Jean Charest a cassé l'élan avec son absurde idée de défusion. C'est ça qui a tout gâché.

Le maire Tremblay, paniqué à l'idée de voir sa ville se démembrer, a promis mer et monde aux arrondissements. Si vous restez, leur a-t-il dit en substance, vous aurez le droit d'imposer des taxes, d'embaucher, d'emprunter et, histoire de flatter l'ego des élus, vous ne serez plus des présidents d'arrondissement, mais des maires.

C'est ainsi que Gérald Tremblay a créé un monstre: une ville à 19 têtes. Mais c'était le monstre ou le démembrement. Il n'avait pas vraiment le choix, il avait un couteau sur la gorge. Et c'est Jean Charest qui le tenait.

À Québec, le scénario a été tout autre. Le maire Jean-Paul L'Allier n'a fait aucune concession, aucune promesse. Les grosses banlieues sont restées. Aujourd'hui, Québec est une ville forte qui parle d'une seule voix et non de 19, comme Montréal.

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Ce retour dans le passé permet de mieux comprendre les résultats du sondage Angus Reid-La Presse. Les citoyens de Québec sont satisfaits, ceux de Montréal, partagés. Les Montréalais ne déchirent pas leur chemise, mais ils ne sautent pas, non plus, de joie. Les fusions sont là pour rester, aussi bien les accepter.

Est-ce que les fusions ont été une bonne chose? Le tiers (36% des personnes interrogées) répond oui, alors qu'un autre tiers (36%) affirme le contraire.

À Québec, c'est l'enthousiasme. La pilule a drôlement bien passé: 69% des répondants pensent que les fusions étaient une bonne chose.

Et les fusions sont là pour rester: 44% des Montréalais ne veulent pas revenir en arrière, comparativement à 76% pour Québec.

Québec est devenu une ville cohérente. On ne peut en dire autant de Montréal, coincé avec ses 19 quasi-villes.

Même contraste avec les maires. Québec vit en osmose avec Régis Labeaume. Plus de 80% de la population l'appuie, même s'il est au pouvoir depuis quatre ans. L'usure? Connaît pas.

Gérald Tremblay, lui, en arrache. En octobre, une firme de sondage a fait le tour des 15 plus grandes villes canadiennes. Résultat: Gérald Tremblay se classe bon dernier. Il est moins populaire que Rob Ford, bouillant et peu raffiné maire de Toronto, connu pour ses déclarations sexistes et racistes.

Le maire Labeaume, lui, casse la baraque. Il se hisse au troisième rang.

Alors que fait-on avec Montréal? Il n'y a pas 56 000 solutions. Il faut refusionner et revenir au scénario original: une île, une ville. Il faut réparer l'erreur historique de Jean Charest. Et arracher les trop grands pouvoirs des arrondissements. Mais qui aura le courage politique de lancer Montréal dans un nouveau brassage de structures? Je sens qu'il n'y aura pas beaucoup de volontaires. Pourtant, il le faut pour que la ville se simplifie et redevienne gouvernable.

C'est simple à comprendre, une ville ne peut pas fonctionner avec 19 maires.