Pas de nom, pas de révélations fracassantes. «Nous avons choisi de taire les noms, a dit Jacques Duchesneau. [...] Nous parlons de gros montants d'argent et nous avons affaire à certains individus aux réflexes violents.»

Jacques Duchesneau a été prudent. Vous voulez des noms? a-t-il dit en substance. Je vous les dirai, mais à huis clos. Sinon rien.

Duchesneau a laissé sa langue de bois au vestiaire, tel que promis. Il a qualifié de «vautours» ceux qui financent illégalement les campagnes électorales.

Mais il est resté dans les limites de son rapport. Il a étoffé certains aspects, sans plus. Les députés, eux, ont posé des questions générales, parfois échevelées, sauf le péquiste Nicolas Girard qui était bien documenté: des faits, des dates.

La commission parlementaire tant attendue a accouché d'une souris... au milieu d'une certaine confusion. Mais bon, l'exercice était nécessaire. Comme dirait mon vieux père, personne n'a inventé la corde à linge sans épingle.

Cette commission parlementaire était très attendue, même si M. Duchesneau avait réservé sa première sortie publique à l'émission Tout le monde en parle dimanche. Une drôle de décision. Un pied de nez aux parlementaires. Un député a demandé: «Il n'y a pas de vin?»

Quand on lui parle de ce faux pas qui égratigne sa crédibilité, Jacques Duchesneau hausse les épaules.

Rien de nouveau, donc: un ministère des Transports vidé de son expertise au profit du privé, des firmes de génie-conseil qui ont le monopole: elles conçoivent et surveillent les chantiers. Le renard dans le poulailler. Un système aberrant qui provoque des dérapages, des gonflements de coûts et des extras. De l'intimidation sur les chantiers, du financement illégal de partis politiques, surtout au municipal, et la présence du crime organisé. Bref, un système dans le système.

Mais tout cela était connu.

À 21h15, le député de Québec solidaire, Amir Khadir, a brisé le ronron de la commission en lâchant une petite bombe: le directeur des deux dernières campagnes de Jean Charest est vice-président d'une des plus grandes firmes de génie-conseil et un des collecteurs de fonds est à la tête d'une firme de construction. Émoi. Mais ces accusations ont fini en queue de poisson. Pas de faits, pas de documents, pas de preuves.

Jacques Duchesneau a eu une drôle de phrase. Il a dit: «Notre rapport est prudent et nuancé.»

Prudent? Où ça, prudent? Son rapport est une vraie bombe qui a mis le Québec sens dessus dessous et jeté le gouvernement Charest dans l'embarras.

J'avoue que je n'ai pas compris.

***

Autre chose que je n'ai pas comprise: la fameuse commission d'enquête à huis clos, mais qui ne serait pas vraiment à huis clos, car à moitié publique. Genre. Une proposition de Jacques Duchesneau. Un huis clos, a-t-il expliqué, pour protéger les témoins.

Un huis clos, mais avec un volet public où des experts témoigneraient. «Une sorte de gros colloque universitaire», a ironisé le député péquiste Sylvain Simard, pendant la pause.

Pas clair, cette commission hybride, et les questions des députés ont embrouillé encore plus la chose. En gros, la commission d'enquête siégerait à huis clos et elle serait présidée par trois juges, mais elle aurait un volet public.

C'est ce volet qui est flou. Oui, des experts témoigneraient, mais aussi des entrepreneurs qui auraient des comportements malhonnêtes répétitifs.

Les opposants ont répliqué, avec raison, que la commission Gomery sur le scandale des commandites a entendu de nombreux témoins à huis clos pendant des mois. L'idée de Duchesneau ne tient pas la route. Il s'est d'ailleurs embourbé lorsqu'il a essayé de donner des détails sur le fonctionnement de sa patente.

Peut-être que Jean Charest accepterait une commission d'enquête à huis clos, ce qui serait mieux que rien. Mais j'en doute.

***

M. Duchesneau ne s'éternisera pas à l'Unité anticollusion. Son mandat se termine en mars 2012, mais il partira avant si ses conditions de travail ne changent pas.

«J'ai fini mon travail et j'ai écrit mon rapport, m'a-t-il dit, hier. Est-ce que je suis prêt à me rembarquer? Si c'est dans les mêmes conditions, ma réponse est non.»

Il a précisé que cette décision n'a rien à voir avec un quelconque conflit avec son nouveau patron, Robert Lafrenière, responsable de l'Unité permanente anticorruption. L'unité de M. Duchesneau a été avalée par celle de Lafrenière en septembre.

«Il n'y a pas de conflit entre nous. Ma décision est intimement liée aux membres de ma famille. Ils ont peur. Quand j'étais policier et que je m'occupais des motards, j'avais un statut, j'étais protégé. Là, je n'ai pas de pouvoir, je ne peux pas forcer quelqu'un à témoigner ni faire de l'écoute électronique. Je n'ai pas de statut, pas de protection. J'ai fait le tour du jardin, je vais partir.»

Malgré les limites de ses pouvoirs, Jacques Duchesneau a fait un travail remarquable. Il n'a pas eu peur de se faire de puissants ennemis. Il n'a pas eu peur, non plus, de décortiquer les rouages de la collusion. En un an et demi. Et avec une équipe minimaliste, soit une quinzaine d'enquêteurs.

Un tour de force. Le Québec lui en doit toute une.