«Hotel or lounge?»

L'accent est tellement fort que je ne comprends pas.

«What?»

«Hotel or lounge?»

L'employé de l'aéroport de Karachi s'agrippe à nos valises. Il veut les transporter dans l'espoir de nous arracher un pourboire. Maigre, il flotte dans sa chemise bleue défraîchie.

Deux Pakistanais viennent à notre rescousse. Ils nous expliquent que la compagnie Pakistan Airlines est prête à nous payer un hôtel parce que notre vol pour Islamabad ne part que dans huit heures.

- Restez ici, nous préviennent les Pakistanais, Karachi est une ville trop dangereuse.

- Et d'où venez-vous?

- De Peshawar.

- C'est le monde à l'envers. Peshawar, une ville pachtoune située près de la frontière afghane, un repaire de talibans et de membres d'Al-Qaïda, une ville qui ne compte plus les attentats suicide et les morts, et ils ont peur de Karachi?

Près de 20 millions d'habitants s'entassent dans les rues poussiéreuses de Karachi. Des vautours survolent la ville. J'y ai passé quelques jours en 2008 pour couvrir les élections pakistanaises. C'est une ville survoltée qui donne froid dans le dos. C'est ici que le journaliste américain Daniel Pearl a été kidnappé, puis décapité par des islamistes radicaux.

L'employé grimpe les marches qui mènent au lounge en traînant nos valises. Il tend la main. André, le photographe avec qui je voyage, lui donne quelques roupies. Il secoue la tête, suppliant: «Low money.» André ajoute quelques billets.

J'ouvre ma valise et je sors une tunique et un foulard. On ne badine pas avec l'honneur des femmes dans les pays musulmans. Surtout au Pakistan.

***

Juste avant d'atterrir à Islamabad, le commandant nous avertit que nous devons survoler la ville pendant une quinzaine de minutes. L'aéroport vient de fermer, car des VVIP s'apprêtent à décoller.

- C'est quoi, des VVIP?

- Des Very Very Important Persons, me répond l'agent en levant ses sourcils broussailleux. Des Américains.

Le Pakistan, fidèle allié des États-Unis dans sa lutte contre le terrorisme, vient de recevoir une gifle. Le 1er mai, des hélicoptères américains ont survolé le territoire pakistanais. À leur bord, un commando qui a fait irruption dans une villa et a abattu l'homme le plus recherché de la planète, Oussama ben Laden.

Les Américains n'ont pas averti les Pakistanais, car ils ne leur faisaient pas confiance. Ils avaient peur des fuites. Le Pakistan a été humilié. La presse pakistanaise exige que des têtes roulent. Mais personne n'ose trop protester, car les États-Unis versent des milliards de dollars en aide au Pakistan. Pas surprenant que des VVIP monopolisent l'aéroport d'Islamabad, la capitale, sans préavis.

L'aéroport est planté au milieu de Rawalpindi, en banlieue d'Islamabad. Une banlieue désordonnée, surpeuplée. Avant d'atterrir, l'avion frôle les quartiers délabrés de Rawalpindi. C'est ici que l'ex-première ministre Benazir Bhutto a été assassinée en décembre 2007. Un kamikaze s'est jeté contre sa voiture. Deux mois plus tôt, elle avait échappé à un attentat à Karachi. Elle revenait au pays après plusieurs années d'exil.

Rawalpindi et Islamabad n'ont pas changé. Rawalpindi avec ses échoppes crasseuses et ses rues encombrées. Islamabad, plus sage, avec ses grandes allées de verdure et son quartier douillet qui accueille les ambassades.

C'est le crépuscule, le soleil se couche, jetant des grandes taches d'ombre sur la circulation hystérique. Le thermomètre indique 30 degrés. Presque tous les hommes portent le vêtement traditionnel, le shalwar kameez, tunique longue et pantalons bouffants.

On traverse un seul check point. Le policier jette un oeil dans la voiture. Il voit l'appareil photo d'André.

«Journalists?»

L'hôtel est fortifié: guérite, gardes armés, détecteur de métal, muret métallique qui bloque les voitures, les empêchant de s'approcher de l'entrée principale.

Pas de doute, le Pakistan est en état de siège. Il est gouverné par des hommes corrompus et déstabilisé par des islamistes radicaux qui se baladent avec des ceintures bourrées d'explosifs. Le Pakistan fait trembler la planète avec son arsenal nucléaire. Et, pour compliquer le tout, il partage sa frontière avec un pays en guerre, l'Afghanistan. Un cocktail explosif.