Hier matin, au bureau de Pierre Reid, l'ex-enquêteur en chef du maire de Montréal, le moral était au plus bas. Les locaux sont juchés au 12e étage des Cours Mont-Royal, rue Metcalfe. Des bureaux beiges dans un couloir beige. Le vérificateur est son voisin de bureau. Ironique quand on sait que Pierre Reid a espionné ses courriels.

Le bureau de Reid se trouve à côté des ascenseurs. C'est là qu'il avait fait installer une caméra. Le vérificateur s'est plaint. Il a accusé Reid d'espionner les allées et venues des gens qui venaient le voir. Reid a été obligé de l'enlever.

J'ai parlé à un des adjoints de Reid. Il en avait gros sur le coeur. Une vingtaine de personnes travaillaient pour Reid. Ils se voient comme des héros, persécutés par des journalistes qui ne comprennent rien à rien. Ils ont reçu le mandat de débusquer des scandales, et c'est eux qui se retrouvent au banc des accusés?

«Ça fait 27 ans que je travaille à la Ville, a-t-il dit d'un ton amer. J'en ai écrit des rapports qui ont fini sur une tablette. Avec Gérald Tremblay, ça bouge, et il y a une volonté politique de faire le ménage.»

Et les méthodes abusives, voire illégales: conduire une enquête sur un élu et le vérificateur, ouvrir clandestinement des courriels? Il a balayé l'air de la main. Tout ce qu'il voit, c'est le désaveu du maire, cristallisé par le congédiement de son patron.

Pierre Reid était absent. Lundi après-midi, à peine congédié par le maire, il est passé en coup de vent à son bureau pour ramasser quelques papiers. «Il se repose chez lui», a dit son adjoint.

Hier, j'ai cogné à la porte de Reid. Il vit dans le quartier Rosemont, dans un appartement situé au premier étage d'un immeuble. Une rue tranquille en face d'un parc. Rien d'ostentatoire.

Il a refusé de m'ouvrir la porte. On a échangé quelques mots. Il était en état de choc. Ça fait 31 ans qu'il travaille à la Ville. Même s'il a mené ses enquêtes de bonne foi, il est devenu la brebis galeuse, celui par qui le scandale arrive. Son visage est épinglé dans les journaux. Il n'en revient pas. Non, il ne veut pas parler, il digère son départ humiliant.

«Il ne dira rien, a confié un porte-parole de l'administration Tremblay. Le vérificateur lui intente une poursuite et c'est la Ville qui paie ses frais d'avocat.»

***

C'était en novembre. L'ex-chef de police de la Ville de Montréal, Yvan Delorme, est arrivé détendu, le teint hâlé, vêtu d'un blouson et d'un jeans. Je l'ai rencontré dans un café du centre-ville. Il revenait de Floride, une virée en moto. Il est entré d'un pas souple. Il avait la dégaine tranquille d'un homme à la retraite.

Il avait démissionné en mai, quelques jours après que La Presse eut révélé qu'une firme de sécurité, BCIA, surveillait sans contrat le quartier général de la police depuis des années. Une démission qui a pris tout le monde au dépourvu.

Il a fallu que j'insiste pour qu'il accepte de me rencontrer. J'avais une question à lui poser, une seule: sait-il que la Ville l'a fait surveiller?

Il est resté impassible, pas un muscle de son visage n'a bougé.

«Je ne suis pas au courant, a-t-il répondu.

- Ça vous étonne?

- Je n'ai aucune crainte, je n'ai rien à me reprocher.»

On a ensuite parlé de Luigi Coretti, le controversé propriétaire de BCIA. Yvan Delorme a nié tout lien avec lui. Il le connaît, sans plus. Et si Coretti a surveillé le quartier général de la police sans contrat, ce n'est pas grâce à lui. Sa démission-surprise? Aucun lien avec BCIA, il est parti pour des raisons personnelles. Il voulait faire de la moto et gosser du bois, car c'est un ébéniste dans l'âme.

Plus tard, j'ai appelé Luigi Coretti. «Je veux vous rencontrer! Je veux vous rencontrer! a-t-il insisté. Appelez-moi demain à 9h.»

Le lendemain, il avait changé de ton. «Appelez mon avocate», m'a-t-il balancé avant de raccrocher. L'avocate m'a dit: «Cessez de harceler mon client!»

Allez comprendre.

***

Selon nos sources, la Ville a surveillé Yvan Delorme dans le cadre d'une vaste enquête sur BCIA. La Presse a travaillé pendant des mois sur cette histoire. L'administration Tremblay a toujours nié. Le chef de police? Jamais! Complètement farfelu! Hier, le maire niait toujours.

Dimanche, même démenti féroce de la Ville sur l'histoire de l'espionnage de Claude Dauphin, maire de Lachine et président du conseil municipal. Pourtant, le lendemain, le maire admettait que l'histoire était vraie.

Ce n'est pas le premier scandale qui frappe l'administration Tremblay. Il y a eu les transactions douteuses de terrains à la SHDM, les compteurs d'eau... Le maire a alors congédié son directeur général, Claude Léger, son directeur des affaires corporatives, Robert Cassius de Linval, et son ex-chef de cabinet, Martial Fillion. Lundi, c'était au tour de Reid.

Reid est parti, mais le maire reste. Pourtant, c'est lui qui lui a donné les pleins pouvoirs, lui qui a créé cette police parallèle.

Gérald Tremblay est responsable de ce qui se passe à l'hôtel de ville. C'est lui le chef. Ça s'appelle l'obligation de rendre des comptes, un principe élémentaire en démocratie. À Québec ou à Ottawa, ça ferait longtemps qu'un ministre aurait été obligé de démissionner.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca