Lorsque la loi 170 sur les fusions municipales est adoptée, dans la nuit du 20 décembre 2000, les maires des 27 villes de banlieue de l'île de Montréal paniquent. Ils ne pensaient pas que le gouvernement de Lucien Bouchard oserait les éliminer d'un coup de crayon pour les fusionner dans une seule et grande ville.

Au lendemain de l'adoption de la loi, ils se réunissent d'urgence à Verdun. Une seule question à l'ordre du jour: qu'est-ce qu'on fait?

«Il y avait deux types de réaction, raconte l'ex-maire de Verdun et leader du groupe, George Bossé: certains tournaient le dos à la nouvelle ville, d'autres acceptaient d'embarquer.»

Les maires de banlieue décident de créer un parti politique pour battre Pierre Bourque, le père d'Une île, une ville. Ils cherchent activement un chef, car les élections auront lieu dans quelques mois. N'importe qui plutôt que Pierre Bourque, un centralisateur qui n'en a que pour Montréal et qui ne comprend rien aux banlieues.

Le problème, c'est que personne ne veut être le chef de ce nouveau parti, l'Union des citoyens et citoyennes de l'île de Montréal. George Bossé songe à se présenter, mais son image d'homme fort en gueule, de défenseur acharné de la banlieue risque de lui aliéner les votes des Montréalais. Pierre Bourque, croient les maires, ne fera qu'une bouchée de lui.

Un homme, un seul, est intéressé: Gérald Tremblay. Pas trop associé aux banlieues, vit à Outremont, ancien ministre libéral qui a encore des contacts à Québec...

Sauf que Gérald Tremblay soulève peu d'enthousiasme. Les maires de banlieue prennent bonne note de son intérêt et... cherchent ailleurs. Ils essaient de trouver un autre candidat. Le problème, c'est qu'il n'y a personne.

«Ça ne se bousculait pas aux portes, se rappelle George Bossé. Du tout, du tout.»

Gérald Tremblay se retrouve donc à la tête du nouveau parti, lui, le candidat par défaut. Le 4 novembre 2001, il bat Pierre Bourque. C'est la banlieue qui le porte au pouvoir. Neuf ans plus tard, il dirige toujours Montréal.

* * *

Le 1er janvier 2002, la grande ville démarre. Les Robert Libman (Côte-Saint-Luc), Peter Yeomans (Dorval), George Bossé (Verdun), Frank Zampino (Saint-Léonard), farouches adversaires des fusions, retroussent leurs manches et plongent dans cette nouvelle ville. Et ça marche.

Anglophones, francophones et allophones travaillent ensemble. Mais les défusions promises par Jean Charest brisent l'élan. Plusieurs anciennes villes de banlieue abandonnent Montréal. Erreur, croient Peter Yeomans et Robert Libman.

«On a écouté notre côté émotif en retournant dans nos petites villes, dit Robert Libman. On a raté une belle occasion d'exercer une influence réelle.»

Les défusions fragmentent Montréal. De cette vaste opération de démembrement naissent 19 arrondissements qui héritent de pouvoirs élargis. Dix-neuf petits royaumes à l'intérieur d'une grande ville.

L'île de Montréal est désormais composée de 15 villes reconstituées, d'une ville centrale et de 19 arrondissements, tous dotés de conseils et d'élus. Par-dessus cette orgie de structures se superpose un conseil d'agglomération chargé de gérer les services communs, comme la police et les pompiers. Un conseil où il n'y a pas de véritable démocratie même s'il gère la moitié d'un budget de 4,5 milliards.

Les défusions accouchent d'une ville, Montréal, engluée dans un fouillis bureaucratique. Il existe, par exemple, 42 services d'embauche.

Le verdict est unanime (ou presque) - experts, OCDE, chambre de commerce: Montréal est ingouvernable avec ses trop nombreuses strates de pouvoir. Sauf que tout le monde se met la tête dans le sable, car personne ne veut rouvrir le douloureux dossier des fusions.

* * *

Yves Ryan, le légendaire maire de Montréal-Nord connu pour son franc-parler, a refusé de se lancer dans l'aventure des fusions en 2000. Il a préféré se retirer de la politique.

Les fusions? «Je ne les ai pas encore digérées, répond-il. Pouvez-vous me dire ce qu'ils ont fusionné? Quand on regarde le nombre d'élus et de maires...»

Yves Ryan n'a pas tort. Avant les fusions, il y avait 28 municipalités et 290 élus. Aujourd'hui, il y a une ville, 19 arrondissements, 15 villes reconstituées et... 218 élus.

Peter Yeomans, l'ex-maire de Dorval, a «envie de pleurer» quand il regarde Montréal: «Trop de structures, une gouvernance trop compliquée et des allégations de corruption. Ça donne de la bouillie pour les chats.»

Quant à la performance de Gérald Tremblay, Yves Ryan est cinglant: «Gérald Tremblay n'a pas de colonne, pas de leadership. Sa direction n'est pas assez virile. Regardez les compteurs d'eau. Voyons donc! Jamais un maire de Montréal n'a appelé la police aussi souvent.»

D'autres critiquent Gérald Tremblay sous le couvert de l'anonymat. Les mêmes mots reviennent: absence de leadership, un mou, un boy-scout qui gère un budget de 4,5 milliards. Un homme faible qui s'entoure d'une équipe faible.

C'est ce que je disais: une ville faible dirigée par un maire faible.