Le maire de Montréal et son vérificateur sont en guerre. Ils se détestent. Ça tombe mal, le mandat de Gérald Tremblay se termine en 2013 et celui de Jacques Bergeron, en 2016.

Les deux hommes se sont déjà affrontés autour de deux dossiers: les compteurs d'eau et TELUS. La semaine dernière, Gérald Tremblay a lancé une nouvelle salve. Dans un geste sans précédent, il a arraché au vérificateur une partie de ses pouvoirs en lui enlevant la ligne éthique.

L'annonce de cette décision a été glissée au milieu d'un communiqué sur de «nouvelles mesures pour renforcer l'éthique», discrètement diffusé la veille du budget. Une manoeuvre grossière pour tenter d'enterrer une décision controversée.

Le maire a créé la ligne éthique en 2009 pour dissiper le parfum de scandale qui flottait obstinément au-dessus de l'hôtel de ville. Elle faisait partie d'une offensive éthique qui devait laver son image ternie.

Le 20 avril 2009, Gérald Tremblay avait convoqué les médias pour défendre l'idée de cette ligne téléphonique que seuls les employés et les fournisseurs témoins de corruption ou de gaspillage pouvaient utiliser. La ligne avait été critiquée par les syndicats, qui craignaient les représailles.

Le maire s'était fait rassurant. Même si la personne qui utilise la ligne doit se nommer, son anonymat sera protégé, avait-il promis. Et il s'était empressé de confier le bébé au vérificateur, mais sans lui accorder de budget supplémentaire.

Et que fait le maire un an et demi plus tard? Il donne la ligne au contrôleur Pierre Reid, qui, lui, relève du directeur général.

Qui osera dénoncer son patron ou un collègue en sachant que le contrôleur rend des comptes au directeur général, lequel est branché sur le bureau du maire?

Si un employé voit une enveloppe brune se balader dans les bureaux du directeur général, osera-t-il appeler le contrôleur? J'en doute.

C'est pour cette raison que le vérificateur avait hérité de la ligne éthique. Il est totalement indépendant du directeur général. Le conseil municipal est son seul et unique patron. Le directeur général n'a aucune autorité sur lui. Les villes canadiennes, comme Ottawa et Toronto, ont d'ailleurs confié la responsabilité de leur ligne éthique à leur vérificateur.

De plus, le contrôleur Pierre Reid a déjà accepté de signer une lettre publiée dans La Presse où il courait à la défense de Gérald Tremblay dans un conflit qui l'opposait au vérificateur. Une «job de bras» vraisemblablement commandée par le bureau du maire. Et c'est lui qui hérite de la ligne éthique?

Autre problème: le contrôleur n'a pas d'autorité sur les sociétés paramunicipales, comme la Société de transport et la SHDM, laquelle a déjà trempé dans un scandale qui a miné l'administration Tremblay. Si un employé veut dénoncer une manoeuvre louche, qui appellera-t-il?

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Les deux hommes ne peuvent donc pas se sentir. Jacques Bergeron a été nommé en mai 2009, alors que Gérald Tremblay s'enfonçait dans les scandales.

Son premier dossier: les compteurs d'eau. Quatre mois après sa nomination, Jacques Bergeron a produit un rapport assassin qui jetait Gérald Tremblay dans l'embarras. Il a recommandé d'annuler le contrat des compteurs d'eau, puis il a remis le dossier fumant entre les mains de la Sûreté du Québec.

Le bureau du vérificateur rapetisse au fil des années. Depuis 2002, le nombre d'employés est passé de 41 à 26. Gérald Tremblay veut-il affaiblir son vérificateur? Pourtant, le maire a promis de faire le ménage. Au lieu de déclarer la guerre à Jacques Bergeron, il devrait l'aider en gonflant ses

budgets et en cessant de lui tirer dessus.

Le vérificateur a un caractère bouillant. À deux reprises, il a interpellé le conseil municipal dans une crise qui l'opposait au maire. Un geste rarissime dans le monde discret des vérificateurs.

Quel contraste avec le vérificateur précédent, Michel Doyon, qui avait quasiment pleuré lorsqu'il avait hérité du dossier des compteurs d'eau. Le pauvre homme était complètement dépassé, et ses rapports, souvent complaisants, n'empêchaient sûrement pas le maire de dormir.

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En cette ère d'éthique extrême, Jaques Bergeron a aussi été éclaboussé par le manque de jugement de son adjoint, Denis Tremblay, qui a accepté de jouer au golf avec les dirigeants d'une entreprise qui avait obtenu un contrat avec le vérificateur. Pas fort, quand ton travail consiste à pourchasser le moindre écart éthique.

Denis Tremblay a été blâmé et il a dû écrire une lettre dans laquelle il s'engageait à ne pas récidiver. N'empêche, cette tache sur la réputation du bureau du vérificateur n'a pas amélioré les relations entre Gérald Tremblay et Jacques Bergeron.

Le courant n'a jamais passé entre les deux hommes et le conflit qui les oppose nuit au grand nettoyage promis par le maire. Montréal ne peut pas se permettre le luxe d'une guerre.