La pièce est immense, avec de grands lustres qui pendent du plafond. Environ 150 chaises sont alignées sur un tapis beige à motifs. En face, trois tables où siègent les 15 députés membres de la Commission sur le droit de mourir dans la dignité, tous partis politiques confondus.

C'est dans ce décor anonyme d'un hôtel de Montréal que la mort a rôdé. Toute la semaine, de 9h30 à 21h, les élus ont entendu des médecins, des infirmières, des représentants d'associations et des simples citoyens. Certains ont défendu avec passion le droit à l'euthanasie* et au suicide assisté, d'autres s'y sont opposés bec et ongles.

Et il y a eu des témoins qui ont parlé des horreurs de l'agonie avec une précision chirurgicale: les souffrances, la peur, le grand vertige existentiel. L'agonie toute nue, sans fard, brutale, effrayante.

Trois témoignages ont particulièrement remué les élus: sur la mort de Laurent Rouleau et de France Thériault, et sur le supplice de Nicole Gladu. Trois témoignages qui se résument en une phrase: délivrez-nous de nos souffrances dans la dignité en légalisant l'euthanasie ou le suicide assisté. S'il vous plaît.

Nicole Gladu a témoigné en fauteuil roulant. Elle souffre du syndrome dégénératif musculaire postpolio: ses muscles ne se régénèrent plus et chaque respiration lui siphonne toute son énergie. Il n'y a pas de cure. La lecture de son mémoire donne la chair de poule. Un mémoire coup-de-poing où elle affirme sans l'ombre d'une hésitation qu'elle veut mettre fin à sa vie avant de basculer «dans une existence de dépendance caricaturale».

Sauf qu'elle devra mourir dans la clandestinité ou à l'étranger, car la personne qui l'aiderait risque d'être condamnée à 14 ans de prison. Au Canada, l'euthanasie et le suicide assisté sont des crimes.

«De quel droit l'État peut-il prétendre décider à ma place des souffrances que je dois endurer?» a-t-elle dit.

Laurier Thériault a parlé de sa femme, France, morte à 42 ans de la maladie de Lou Gehrig. Une maladie qui, petit à petit, tue tous les muscles. Le malade meurt suffoqué, car il ne peut plus respirer. Par contre, il reste lucide. Il meurt enfermé dans un corps qui refuse d'obéir, seul, incapable de communiquer avec son entourage.

France est morte à l'hôpital, entourée de sa famille. C'est elle qui a choisi le moment de sa mort: le 24 septembre 2007. Le médecin l'a endormie avec une injection, puis un inhalothérapeute a éteint l'appareil respiratoire qui la maintenait en vie. Elle est morte quelques minutes plus tard.

Lucien Rouleau, lui, a vécu un cauchemar. À 59 ans, atteint depuis 15 ans de la sclérose en plaques, il s'est tiré deux balles dans le thorax avec sa vieille carabine de chasse. Il a attendu avant d'appeler le 911. Il voulait être certain de mourir.

À l'hôpital, les médecins ont voulu l'opérer. Il a protesté. Sauf que le droit de refuser un traitement ne s'applique pas aux gens qui tentent de se suicider. Il a fallu qu'un psychiatre convainque les médecins de ne pas intervenir. Il est mort dans les bras de sa femme 14 heures plus tard.

Alors, pour ou contre l'euthanasie?

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Le Dr Ayoub, oncologue fort respecté, a parlé de son opposition farouche à l'euthanasie. Peu importe les souffrances physiques ou morales, peu importe l'état végétatif du patient, peu importe si la vie ne tient plus qu'à un fil, l'euthanasie est inacceptable, a-t-il dit aux élus. Ce n'est pas négociable.

Si le patient est athée et que la souffrance ne représente rien pour lui, doit-il l'endurer? Sa volonté de mourir ne prime-t-elle pas? Non, a répondu l'inflexible Dr Ayoub.

Plusieurs opposants à l'euthanasie sont croyants. Pour eux, la vie est sacrée. Point final.

D'autres craignent les dérives, l'absence de balises, l'euthanasie à toutes les sauces, sans garde-fou assez puissant pour empêcher les abus: la mort de patients pour libérer des lits et économiser de l'argent, la mort de vieux pour que la famille touche l'héritage plus vite ou soit libérée d'un fardeau trop lourd.

Mais les chiffres déboulonnent ces craintes. En Oregon, seulement 0,2% de tous les décès en 2009 étaient attribuables à des suicides assistés; en Belgique, ce chiffre a oscillé entre 0,2% et 0,8% de 2003 à 2009. Aux Pays-Bas, on parle de 0,1% pour les suicides assistés et de 2% pour l'euthanasie.

Pas étonnant, quand on connaît les conditions très strictes qui encadrent l'euthanasie et le suicide assisté. Le patient doit être majeur, sa maladie incurable, ses souffrances insupportables. La demande doit être formulée par écrit, approuvée par deux médecins, dont un qui n'a pas de lien avec le malade. On est loin de la piqûre administrée à la va-vite.

Très peu de gens se rendent jusque-là. Faut-il changer la loi pour satisfaire une toute petite minorité? demandent les opposants.

Oui. Parce que personne ne devrait avoir le droit de dicter à un agonisant comment et quand il doit mourir. Et personne ne devrait l'obliger à endurer des souffrances qui, à ses yeux, ne riment à rien.

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À quoi va servir cette commission? À bien peu de chose, je le crains. La tablette guette son rapport - une belle place à côté de celui de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables.

Car le suicide assisté et l'euthanasie sont des crimes, et seul Ottawa a le pouvoir de modifier le Code criminel. Québec peut demander à ses procureurs de ne pas intenter de poursuite, sauf que le coeur du problème ne sera pas résolu. Le malade continuera de mourir dans la clandestinité, en glanant une recette sur l'internet.

Pour l'instant, Ottawa n'a pas l'intention de bouger. Avec les conservateurs au pouvoir, Nicole Gladu risque de mourir à l'étranger et non chez elle, en paix. Et en toute légalité.

* Dans l'euthanasie, une personne provoque la mort d'un malade, alors que dans le suicide assisté, elle ne fait que l'aider à mettre fin à ses jours.