Avant de travailler dans un vrai magasin avec de vrais clients, j'ai passé une semaine à m'exercer dans un sous-sol sans fenêtre. Je venais d'être embauchée comme caissière chez Steinberg. J'avais 17 ans. Mon premier vrai boulot.

J'avais déjà été étiqueteuse chez Bonimart. Je passais ma journée debout, sur le plancher en ciment d'une usine, devant un long support sur lequel étaient accrochés des manteaux en fausse fourrure recouverts d'un plastique.

Je soulevais le plastique, j'attrapais la manche d'un manteau, je prenais une étiquette que j'agrafais avec une poinçonneuse, je replaçais la manche sous le plastique, puis je passais au suivant. En une heure, j'avançais à peine de quelques pieds. J'ai failli mourir d'ennui. Au bout de trois jours, j'ai démissionné, ou plutôt j'ai fui.

Mais revenons à ma semaine passée dans un sous-sol sans fenêtre à m'exercer devant une caisse. Les chariots étaient remplis de boîtes de conserve et de fruits et légumes en plastique. Je me rappelle avoir eu mal aux pieds, les minutes qui se transformaient en heures et les listes d'articles taxables que je devais apprendre par coeur. Je n'ai pas été payée pour cette semaine de formation. C'était avant la création de la Commission des normes du travail.

J'étais jeune et empotée. Et, il faut bien l'avouer, peu douée. La formation s'est terminée le vendredi après-midi dans un vrai magasin. Un client est passé à ma caisse avec des bananes et du café. J'ai fait le total: 99$. J'ai ri nerveusement en voyant le montant s'afficher. Le monsieur s'est offusqué, le superviseur est arrivé en courant et il a corrigé mon erreur en se confondant en excuses. Ça commençait mal.

Après trois jours de vrai travail dans un vrai magasin, j'ai été congédiée parce que, m'a expliqué la gérante, je n'avais pas le «profil de la caissière». Je suis partie en courant chez Dominion, situé quasiment en face du Steinberg. Ils m'ont embauchée sur-le-champ. Une aubaine: une caissière formée par le concurrent et qui connaissait par coeur la liste des articles taxables.

J'étais syndiquée et la convention collective prévoyait qu'on avait droit à une pause de 15 minutes pour chaque bloc de 4 heures. Sauf que Dominion contournait l'esprit de la convention. Je devais pointer à 16h45 pour ma pause de 15 minutes, puis je travaillais sans relâche de 17h à 21h.

Je me souviens de la frénésie des vendredis soir où les clients se ruaient sur les caisses, de mon salaire - 1,86$ l'heure - payé en argent comptant et de ma fatigue après les longues heures passées debout devant ma caisse.

J'ai résisté deux mois avant de remettre ma démission. Je suis partie, convaincue que je n'étais pas assez forte pour affronter le monde du travail.