Une vingtaine de journalistes attendaient le chef de police de la Ville de Montréal, Yvan Delorme, armés de calepins, de micros et de caméras.

M. Delorme venait tout juste de terminer son témoignage devant la Commission de la sécurité publique. Pendant deux heures, il a expliqué pourquoi la firme de sécurité BCIA a surveillé le quartier général de la police sans contrat et sans l'approbation du conseil municipal. Des explications un peu échevelées, ensevelies sous une tonne de détails techniques.

Dossier complexe, très complexe, a répété M. Delorme devant les élus membres de la Commission.

À la fin de son témoignage, qui s'est déroulé à l'hôtel de ville, les journalistes s'étaient agglutinés devant les portes de la salle du conseil, prêts à mitrailler Yvan Delorme de leurs questions.

 

Les journalistes faisaient le pied de grue depuis un bon moment. Lorsque les portes se sont enfin ouvertes, la salle était vide. M. Delorme et les membres de son état-major avaient déguerpi, laissant les journalistes en plan avec leurs calepins, leurs micros et leurs caméras.

Pour un homme qui n'avait rien à cacher, sa fuite manque d'élégance.

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Le jour de sa démission, le 4 mai, Yvan Delorme a fait la tournée des médias pour expliquer qu'il prenait sa retraite et qu'il voulait prendre le temps de faire de la moto et de la voile, tout en gossant quelques meubles, lui, l'ébéniste accompli. Pourtant, il n'a pas 50 ans et il venait de renouveler son contrat en se négociant un pont en or.

La veille de sa démission-surprise, La Presse avait publié un dossier sur les nombreuses anomalies entourant BCIA.

Depuis, silence radio, même si les questions au sujet de BCIA s'empilaient: quels sont les liens entre Yvan Delorme et le patron de BCIA, Luigi Coretti? Pourquoi a-t-il soupé avec lui à deux reprises quelques mois avant d'être nommé chef?

Pourquoi, pendant ces fameux soupers, était-il accompagné de Jimmy Cacchione et Giovanni Diféo, deux policiers cadres qui ont aidé Coretti à recruter des collègues qui songeaient à la retraite? Travaillaient-ils comme démarcheurs pour Coretti? Si oui, Yvan Delorme a-t-il joué un rôle?

Pourquoi BCIA a-t-elle surveillé le quartier général de la police sans contrat pendant quatre ans? Pourquoi les élus n'ont-ils jamais été mis au courant? Pourquoi avoir embauché BCIA, alors que Coretti avait fait faillite deux fois en plus de crouler sous les poursuites pénales? Y a-t-il un lien entre la démission de M. Delorme et le dérapage de BCIA?

Beaucoup de questions. Le témoignage de M. Delorme était très attendu.

Hier, M. Delorme a été d'une prudence de Sioux. Coretti n'est pas un ami, a-t-il précisé, mais une connaissance professionnelle; il ne se souvient plus s'il a mangé avec lui plus d'une fois, car il sort beaucoup; il n'a pas favorisé de fournisseur, BCIA encore moins, et il n'a jamais été malhonnête. Du démarchage? Pas au courant. Les faillites de Coretti? Pas au courant non plus. BCIA? Une firme qui avait bonne réputation.

Et l'absence de contrat? Yvan Delorme a prononcé le mot erreur du bout des lèvres. Claude Trudel, responsable de la sécurité publique et membre de l'équipe du maire Tremblay, a été plus explicite. Il a parlé d'«invraisemblable imbroglio administratif».

Bref, du cafouillage, de la confusion, des erreurs administratives, mais que des erreurs administratives. Pas de complot, pas de traitement de faveur ni de retour d'ascenseur.

Bref, c'est la faute aux fonctionnaires. M. Delorme? Blanc comme neige. Quasiment une victime de la lourdeur de l'appareil administratif.

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La réunion de la Com-mission devait se dérouler derrière des portes closes. Mercredi, la Ville a publié un communiqué. À la demande d'Yvan Delorme, pouvait-on lire, Claude Trudel avait accepté de laisser tomber le huis clos.

Hier, M. Trudel a précisé que c'était à la suite des pressions de l'opposition. Qui dit vrai? Le communiqué ou M. Trudel, qui est cité dans le communiqué?

Mercredi soir, j'ai croisé le maire au centre-ville. Tout à fait par hasard. Il inaugurait la portion piétonne de la rue Sainte-Catherine. On a parlé du témoignage d'Yvan Delorme. M. Tremblay m'a expliqué qu'il n'avait rien à cacher.

Mais c'est M. Delorme qui a demandé la levée du huis clos, lui ai-je dit.

Il n'a pas répondu directement à ma question, mais le message était clair: la volonté était politique. Et l'ordre venait probablement de son bureau. C'est ce que j'ai cru comprendre dans le non-verbal agité du maire.

Alors, qui a demandé la levée du huis clos? Mystère. Un autre imbroglio, la nouvelle spécialité de la Ville.

Serait-ce Yvan Delorme? Il aurait insisté pour témoigner en public, alors qu'il n'a même pas eu le courage d'affronter les journalistes?

J'en doute. Et ce n'est pas mon seul doute.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca