Le projet de loi sur les accommodements raisonnables déposé hier à l'Assemblée nationale interdit peu et permet beaucoup. Trop, peut-être.

Commençons par les interdits : le voile intégral, burqa et niqab, qui cache tout le visage, sauf les yeux. Il sera banni de «l'administration gouvernementale», c'est-à-dire des écoles, cégeps, universités, centres de la petite enfance, CLSC, hôpitaux, bureaux du gouvernement, etc.

Les fonctionnaires devront donc travailler à visage découvert. Les personnes qui reçoivent des services n'auront pas le droit, non plus, de porter le voile intégral.

Si la loi est adoptée, les Naema de ce monde devront donc enlever leur voile si elles vont à l'hôpital, à l'école ou dans un bureau de la Régie de l'assurance maladie. Naema, c'est cette femme en niqab expulsée d'un cours de français au cégep Saint-Laurent.

Le premier ministre Jean Charest avait promis d'être ferme sur la question du niqab. Il a tenu sa promesse.

Il a résisté à l'envie de bannir le voile intégral de l'espace public. Un bon point. Les femmes en niqab pourront donc se promener librement dans la rue ou l'autobus sans risquer de se faire arrêter ou coller une contravention.

Les femmes qui portent le voile intégral ne pourront plus suivre les cours de français destinés aux immigrés. Des cours pour adultes, faut-il le préciser. Dommage. C'est la seule exception que le gouvernement aurait dû prévoir.

Car ces femmes n'accepteront probablement jamais d'enlever leur voile. Elles vont donc rester chez elles, isolées. Comment pourront-elles apprendre le français, une des clés de l'intégration?

Mais bon, Jean Charest est sorti de sa léthargie. Et ce qu'il propose respire le gros bon sens. Et Dieu sait qu'on en a manqué, de gros bon sens, pendant l'interminable crise des accommodements raisonnables.

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Voyons ce qui est permis, maintenant. Tout, absolument tout. Je parle des signes religieux. Hijab (foulard), turban sikh, croix, kippa (calotte juive). Un juge pourra porter un turban, une policière le hijab, un gardien de prison une grande croix.

Sans oublier les enseignants, les fonctionnaires, les infirmières et les éducatrices dans les centres de la petite enfance. Tout est permis. Ou plutôt, rien n'est interdit. Car le projet de loi ne parle pas des signes religieux. Il précise que tous doivent avoir le visage découvert. Point.

«Est-ce que ça signifie que tous les signes religieux seront permis? ai-je demandé à la ministre de la Justice, Kathleen Weil.

- Oui», a-t-elle répondu.

Pourtant, le rapport Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables précisait qu'il fallait faire une exception pour les juges, les policiers, les gardiens de prison... et le président de l'Assemblée nationale, car, dans leur cas, «l'apparence d'impartialité s'impose au plus haut point».

Surtout les juges. Est-ce qu'un accusé musulman pourra croire à la neutralité d'un juge juif? demandent les commissaires Bouchard et Taylor dans leur rapport-fleuve.

Le gouvernement aurait dû prévoir ces exceptions.

Il a fait le pari de la laïcité ouverte - un peu trop ouverte - et il a tourné le dos au modèle français, jugé trop rigide.

La présidente du Conseil du statut de la femme, Christiane Pelchat, n'est pas d'accord. Elle croit qu'il faut interdire les signes religieux ostentatoires. Comme en France.

Mais qu'est-ce qui est ostentatoire? Gros problème de définition en vue. Les petites croix seront tolérées, mais pas les grandes? À partir de quelle grosseur la croix sera-t-elle jugée ostentatoire? Et la kippa? C'est la dictature du ruban à mesurer. Non merci.

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Le projet de loi ne compte que 10 articles, mais 10 articles importants qui établissent les grands principes qui guideront le Québec : l'égalité entre les hommes et les femmes et la neutralité religieuse de l'État. Toute demande d'accommodement sera subordonnée à ces deux principes.

Banal, direz-vous? Peut-être, mais le gouvernement coule ces principes dans une loi. Ce qui n'est pas rien.

Le projet de loi donne aussi la recette des accommodements raisonnables. Un accommodement sera accordé seulement s'il n'exerce pas de contrainte excessive sur l'organisme et s'il ne nuit pas à son bon fonctionnement ou aux droits d'autrui.

Mais tout ne sera pas réglé pour autant. Le Québec continuera à se poser des questions. Peut-on dire oui à des cours de natation non mixtes? Le menu des cafétérias doit-il tenir compte des interdits religieux? Doit-on exclure les hommes des cours prénataux?

Sauf que, à la prochaine crise, il y aura des balises.

Et ça, ça fait toute la différence.