Vous savez à quel point la montagne me tient à coeur, à quel point je l'ai toujours défendue bec et ongles contre les promoteurs et l'ex-maire Pierre Bourque prêt à en vendre de larges pans au premier constructeur de condos venu.

Sauf que cette fois-ci, l'histoire est différente. En 2003, l'Université de Montréal a acheté le couvent des soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie, mais elle s'est vite rendu compte que les coûts de rénovation étaient astronomiques: 130 millions, soit trois fois l'estimation initiale.

 

L'Université a donc décidé de vendre le couvent. Aucune institution publique n'en voulait. Le Groupe immobilier F. Catania l'a acheté en 2008. Il veut transformer la vénérable institution en condos de luxe.

Le couvent est situé sur le boulevard Mont-Royal, une route tranquille qui longe le flanc nord de la montagne, au coeur de l'arrondissement historique et naturel.

Premier réflexe des défenseurs de la montagne: horreur!

Sauf que cette fois-ci...

Le projet de Catania a été passé au peigne fin par l'Office de consultation publique, le Comité ad hoc d'architecture et d'urbanisme, le Conseil du patrimoine, le Comité consultatif d'urbanisme, Héritage Montréal, les Amis de la montagne et le ministère de la Culture. Verdict: acceptable.

Il n'y aura aucune nouvelle construction (contrairement au projet Marianopolis, qui est une hérésie), l'accessibilité à la montagne sera améliorée car Catania cédera une parcelle de terrain à la Ville, la chapelle sera conservée et ouverte une fois par mois au public, les espaces de stationnement seront réduits et le terrain reverdi.

Plusieurs déplorent le fait que le couvent tombera entre les mains du privé. Moi la première. Sauf qu'aucune institution ne veut acheter cet immense bâtiment. On ne peut tout de même pas mettre un fusil sur la tempe de l'Université pour l'obliger à garder le couvent ou demander au gouvernement du Québec de sauver toutes les églises et couvents en péril.

C'est Catania ou un couvent abandonné avec des planches de contreplaqué dans les fenêtres.

J'ai fait mon choix.

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Le couvent s'est retrouvé au coeur d'une bataille idéologique où s'affrontent la direction de l'Université de Montréal et les professeurs. Ces derniers s'opposent à la construction d'un deuxième campus dans la gare de triage d'Outremont. Ils insistent pour que l'Université prenne de l'expansion sur la montagne. D'où l'importance de conserver le couvent.

L'Université, qui se pique d'avoir les compétences pour piloter la construction d'un tout nouveau campus qui coûtera 1 milliard, est incapable d'évaluer les coûts de rénovation d'un couvent!

Elle devrait réfléchir au fiasco de l'îlot Voyageur de l'UQAM avant de se lancer tête baissée dans des projets immobiliers faramineux. Mais c'est une autre histoire.

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Revenons à la montagne et à une autre bataille. Politique.

La Ville doit modifier le zonage, d'institutionnel à résidentiel, pour permettre à Catania d'aller de l'avant. Sinon, pas de condos.

C'est ce soir ou demain que le conseil municipal doit adopter la modification au règlement de zonage. Il faut s'attendre à une lutte serrée entre Louise Harel, qui s'oppose à la vente, et Gérald Tremblay, qui l'approuve.

Le couvent doit rester dans le giron public, croit Mme Harel. Elle veut que la charte de la Ville soit modifiée pour interdire la transformation d'immeubles institutionnels en condos. Une position trop rigide.

Et Richard Bergeron, chef de Projet Montréal, qui, en principe, est dans l'opposition? Pas facile à suivre.

Son parti s'oppose vigoureusement à la vente du couvent. Pendant les audiences de l'Office de consultation publique, Projet Montréal a sorti son bazooka pour démolir le projet de Catania.

Richard Bergeron fait partie du comité exécutif avec l'équipe du maire. Il doit être solidaire de ses décisions. Donc en faveur de la vente du couvent. Au conseil municipal, il sortira pendant le vote. Ses troupes, elles, voteront contre.

En acceptant un poste au comité exécutif, Richard Bergeron a renoncé à son droit de parole sur les dossiers controversés. Pendant combien de temps son parti acceptera-t-il un chef à deux têtes?

J'ai demandé une entrevue à Richard Bergeron. Son attachée de presse m'a dit d'appeler le porte-parole de Gérald Tremblay.

Pardon? ai-je dit un peu éberluée. Richard Bergeron est dans l'opposition, pourquoi dois-je appeler le bureau du maire?

Mais ça dépend à quel Richard Bergeron vous voulez parler, a-t-elle précisé.

Parce qu'il y a plusieurs Richard Bergeron?

Il y a Richard-Bergeron-membre-du-comité-exécutif et Richard-Bergeron-chef-de-Projet-Montréal.

Je veux parler à Richard Bergeron-Richard Bergeron, ai-je répondu.

J'ai dû appeler le relationniste du maire. Et comme tout bon politicien embêté par un dossier délicat, Richard Bergeron a refusé de m'accorder une entrevue.

Gérald Tremblay peut dormir tranquille, la moitié de l'opposition est émasculée.