Quel beau cas pour jeter de l'huile sur le feu.Une immigrée d'origine égyptienne a été expulsée de son cours de français au cégep Saint-Laurent parce qu'elle refusait d'enlever son niqab, le voile intégral qui cache tout le visage, sauf les yeux.

Ce n'est pas le cégep qui a décidé d'expulser l'élève, mais le bureau de la ministre de l'Immigration, Yolande James.

Le collège a tout fait pour satisfaire la dame, qui pouvait porter son voile et faire ses présentations dans le fond de la classe, le dos tourné aux élèves. Pendant un cours, elle a même demandé aux hommes de se déplacer parce qu'ils lui faisaient face.

Ses demandes étaient nettement déraisonnables; pourtant, l'histoire a traîné pendant des mois. Le Ministère a finalement tranché: elle devait enlever son voile, sinon c'était l'expulsion.

Elle a choisi l'expulsion.

Pourquoi ce dossier s'est-il rendu au bureau de la ministre James? Pourquoi le cégep n'a-t-il pas pris la décision seul?

Parce que le dossier des accommodements raisonnables est toujours aussi délicat, aussi explosif. Une ministre qui intervient dans une classe pour régler un problème de voile! On est dans la microgestion. Yolande James a-t-elle consulté le premier ministre Charest avant de prendre sa décision?

Cette histoire montre aussi à quel point les institutions sont démunies lorsqu'une demande corsée atterrit sur leur bureau.

La commission Bouchard-Taylor n'a donc rien réglé? Pourtant, les Québécois ont participé massivement à ses travaux: 17 régions visitées, 800 témoignages, 900 mémoires. Un incroyable succès, une grande thérapie collective.

Les deux commissaires ont accouché d'un rapport intelligent, nuancé. Une brique de 310 pages que le gouvernement s'est empressé de cacher dans le fond d'un placard, se contentant d'accoucher d'un vague contrat de citoyenneté que les immigrants doivent signer à leur arrivée au Québec.

Depuis le début de l'année, les accommodements raisonnables hantent les libéraux. Jean Charest pensait se débarrasser de cet encombrant débat en créant la commission Bouchard-Taylor. Erreur.

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Lorsque mon collègue Vincent Marissal m'a raconté cette histoire de niqab, je me suis dit: «Ah non! pas encore le débat sur les accommodements raisonnables!» Je voyais déjà les défenseurs d'une laïcité rigide monter au créneau pour exiger l'adoption d'une loi interdisant le voile intégral dans l'espace public.

La France a voulu adopter une telle loi. Même si la grande majorité des députés français sont contre le niqab et la burqa, ils ont reculé devant l'idée de l'interdire. Comment appliquer la loi? En donnant des contraventions aux femmes qui se baladent en burqa dans la rue?

Qui a envie d'avoir une police du niqab? Un peu odieux, non, pour un pays qui se targue d'être démocratique?

Au Canada, la réalité est différente. Une loi est impensable, car «elle irait clairement à l'encontre de la Charte des droits, qui garantit la liberté de religion», explique la juriste Pascale Fournier, professeure à l'Université d'Ottawa.

Inutile, donc, de se rendre en Cour suprême. On a autre chose à faire de notre temps et de notre argent.

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Une enseignante ou une avocate peut porter un foulard islamique qui laisse le visage à découvert sans mettre en péril le caractère laïque de l'école ou du tribunal. Avec la burqa, on tombe dans un autre univers.

Une personne en autorité ne devrait pas porter le voile intégral, car c'est un fort symbole d'inégalité entre les hommes et les femmes, que cela plaise ou non aux musulmans.

Par contre, la laïcité de la société n'est pas menacée parce qu'une femme se promène dans la rue ou dans le métro avec une burqa. De toute façon, elles ne sont qu'une poignée à porter le voile intégral. On ne va tout de même pas adopter une loi pour une cinquantaine de femmes souvent pauvres et isolées.

La question des accommodements raisonnables ne peut pas se régler avec une loi qui tracerait une ligne claire et nette. Ce sera toujours du cas par cas.

Le gouvernement peut s'outiller en créant, par exemple, un «office d'harmonisation» chargé d'aider les institutions aux prises avec un problème complexe d'accommodement, comme le suggèrent les commissaires Bouchard-Taylor.

Si j'étais Jean Charest, j'irais chercher le rapport de la commission dans le fond du placard. Que cela lui plaise ou non, le problème est loin d'être réglé.