«Maman, maman, je suis là!»

Ce sont les premiers mots que Michael Saintima a prononcés lorsque les voisins l'ont trouvé.

Pendant sept jours, il a vécu entre deux blocs de béton dans les décombres de sa maison. Recroquevillé, terrifié, serrant un jouet dans ses mains. Sans eau ni nourriture.

Ses parents pensaient qu'il était mort mais, hier matin, sa petite voix a surpris tout le monde. Des hommes l'ont délicatement extirpé du béton tordu et l'ont étendu sur une couverture.

«Il n'a pas pleuré quand on l'a trouvé, dit son père. Il avait toute sa connaissance. J'ai loué Dieu. Dieu ! Dieu ! Je suis content!»

La mère de Michael couve son fils des yeux. Silencieuse, attentive, incrédule.

«J'étais certain qu'il était mort», ajoute le père.

Les voisins arrivent en courant pour voir le miraculé de Petit-Goâve. Il n'a que quelques égratignures. Faible, pâle, il regarde tous ces gens heureux agglutinés autour de lui. Il serre dans ses bras le jouet qui lui a servi de compagnon pendant les sept derniers jours.

Michael a 5 ans. «Oui, j'ai eu peur, murmure-t-il d'une voix étouffée. Je n'ai pas dormi.» Depuis le tremblement de terre, il a vécu seul dans le noir, nuit et jour.

Son père refuse de l'emmener à l'hôpital. «Je n'aime pas les piqûres et les seringues.» Les voisins échangent leurs recettes de sérum maison : un grand verre d'eau avec du sucre et une pincée de sel.

L'histoire du miraculé fait vite le tour de Petit-Goâve. Depuis que la terre a tremblé, la ville compte ses morts et ses blessés et regarde, ahurie, tous ces bâtiments écroulés, affaissés, fissurés. Environ 20 % des maisons ont été détruites, et il faudra probablement raser la majorité des autres parce que les dégâts sont trop importants.

Petit-Goâve est abandonnée à son sort. Pourtant, la ville n'est qu'à 65 km de la capitale.

***

Impossible de savoir comment Petit-Goâve a passé à travers le séisme. Tous les yeux sont tournés vers Port-au-Prince, comme si le reste du pays n'existait pas.

Hier matin, je suis donc partie très tôt de Port-au-Prince pour me rendre dans la ville de l'écrivain Dany Laferrière.

La route est inégale. Une longue balafre traverse parfois l'asphalte, conséquence du tremblement de terre. Après Grand-Goâve, la route monte doucement. Au sommet, on voit, tout en bas, la baie de Petit-Goâve, belle, émouvante, avec ses montagnes arrondies et la mer.

Mais derrière cette image de carte postale, on découvre vite les énormes blessures provoquées par le séisme. Le centre-ville a été quasiment soufflé : le bureau de la mairie est éventré, le bâtiment devra être démoli. La bibliothèque n'a plus de façade. L'église, la basilique, les maisons : détruites ou gravement fissurées.

Au milieu des débris se tient un homme au visage fatigué, le pantalon couvert de poussière, la casquette enfoncée sur la tête. Il n'a pratiquement pas dormi depuis une semaine. Il s'appelle Fritzgérald Dougé. C'est le secrétaire général de la ville. Il tient Petit-Goâve à bout de bras. Il est débordé, épuisé, fébrile.

«Hier, à 22 h 30, je brûlais un cadavre, dit-il. Il faut enlever les débris, vérifier la solidité des bâtiments, démolir les plus fragiles avant qu'ils ne s'écroulent, creuser des fosses dans le cimetière pour enterrer les cadavres. Sans cercueil, sinon ça prend trop de place.»

Petit-Goâve ne reçoit pratiquement aucune aide. Les habitants couchent dans la rue, à la belle étoile. «Ils n'ont même pas de tente, proteste M. Dougé. Quatre-vingt-quinze pour cent des bâtiments ont été endommagés, ajoute-t-il.

- Mais c'est toute la ville !

- Oui, toute la ville. J'ai peur qu'il y ait de la violence, que l'anarchie s'installe. Quand les gens ont faim, ils deviennent agressifs. Je comprends la détresse de Port-au-Prince, mais ici aussi, la situation est périlleuse.»

Une jeep de l'ONU passe près de nous. À bord, cinq soldats sri-lankais éberlués qui balbutient à peine quelques mots d'anglais. Ce sont eux qui assurent la sécurité.

La seule aide est venue d'une compagnie privée américaine qui réalise des travaux dans la région. Quand la terre a tremblé, un des employés dormait dans un hôtel de Petit-Goâve. Son patron l'a appelé au milieu de la nuit.

«Il m'a dit : Prends l'équipement et fais tout ce que tu peux», raconte ce grand gaillard, un Américain de Fort Lauderdale. Son visage et ses cheveux sont couverts de poussière. Depuis six jours, il est assis sur son bulldozer. Il enlève des débris et creuse des fosses dans le cimetière. Gratuitement.

Le bilan est lourd : 1150 morts. Pour l'instant.

«Il y a beaucoup de cadavres dans les débris, précise M. Dougé.

- Ils ont retrouvé deux survivants à Port-au-Prince ce matin.»

Il me regarde en levant un sourcil, sceptique. «Je ne crois pas qu'il y ait des vivants après sept jours.»

On se quitte. J'embarque dans l'auto. Il revient en courant, le cellulaire dans la main. «On vient de trouver un petit garçon dans les débris. Il est vivant !»

C'est Michael, le miraculé de Petit-Goâve.

Le ciel est gris, les nuages bas. Sur le chemin du retour, une pluie fine brouille le paysage. À la radio, Ginette Reno chante «C'est incroyable !» à pleins poumons.

Si elle savait à quel point ce l'est.