J'espère que le maire aime les réunions parce qu'il va s'en farcir un bon paquet au cours des prochaines années.

Gérald Tremblay sera partout: maire de Montréal, président du comité exécutif, maire de l'arrondissement de Ville-Marie (donc grand patron du centre-ville), président du conseil d'agglomération (qui regroupe Montréal et les 15 villes défusionnées de l'île) et président de la Communauté métropolitaine de Montréal, une structure politique qui chapeaute les 82 villes de l'île, de la Rive-Sud et de la couronne nord.

Comme si ce n'était pas assez, Gérald Tremblay s'est ajouté quelques responsabilités supplémentaires. C'est lui qui s'occupera des dossiers touchant l'international, le capital humain et la jeunesse.

Où trouvera-t-il le temps d'assumer son rôle de maire? Il sera tellement occupé à mettre ses doigts dans tous les chaudrons qu'il n'aura plus le temps d'avoir une vision d'ensemble, de diriger son équipe, de rencontrer les Montréalais, de voyager à l'étranger et de négocier avec le gouvernement du Québec et les maires de Laval et Longueuil.

Il aura le nez collé sur ses dossiers. Pour diriger le comité exécutif, il devra maîtriser des questions complexes: les contrats comme les compteurs d'eau, les négociations avec les syndicats, etc. Quand épluchera-t-il ses dossiers, quand préparera-t-il avec minutie les réunions, lui qui aura un agenda plus chargé que celui de Barack Obama?

C'est un peu comme si Jean Charest décidait d'être premier ministre, président du Conseil du Trésor et maire de la ville de Québec.

Et Montréal est une grande ville, avec un budget de 4 milliards et une population de 1,6 million d'habitants - à peine moins que les quatre provinces maritimes réunies.

Si Gérald Tremblay avait la personnalité d'un Jean Drapeau ou d'un Pierre Bourque, je serais la première à grimper dans les rideaux pour dénoncer les dangers d'une dérive autoritaire. Mais Gérald Tremblay n'a pas la fibre d'un dictateur. Par contre, il crée un dangereux précédent en s'arrogeant autant de pouvoirs.

Il envoie aussi un drôle de signal à son équipe: personne n'est assez fiable pour assumer le rôle de président du comité exécutif, laisse-t-il entendre.

Gérald Tremblay a été marqué au fer rouge par les scandales qui ont éclaboussé son administration et il a été traumatisé par le manque de loyauté de l'ex-président du comité exécutif Frank Zampino. Il ne veut plus être traité de Ponce Pilate et il refuse d'être l'homme qui ne savait rien. Il veut devenir l'homme qui sera partout. Désormais, a-t-il dit hier, je saurai tout puisque je serai responsable de tout.

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Hier, le maire a exclu de son comité exécutif des hommes à la réputation éthique douteuse, Luis Miranda et Sammy Forcillo.

Luis Miranda, maire d'Anjou, a voyagé avec des entrepreneurs qui obtiennent des contrats de son arrondissement. Selon lui, ce copinage ne soulève aucun problème éthique (!).

Quant à Sammy Forcillo, il a été durement écorché par Benoit Labonté, qui l'a accusé de tremper dans du financement politique illégal.

Hier, pendant que Gérald Tremblay présentait les membres de son comité exécutif dans la grande salle du conseil, Sammy Forcillo, assis dans la dernière rangée, regardait la scène d'un air dépité, jambes allongées, bras croisés.

Le maire a passé le balai dans les rangs de son parti, histoire de tirer un trait sur le passé. On n'en attendait pas moins.

Le maire a aussi frappé un grand coup. Il a nommé deux adversaires, Lyn Thériault et Richard Bergeron, membres du comité exécutif, le coeur du pouvoir, où se prennent toutes les décisions. C'est comme si Jean Charest nommait ministres deux députés péquistes.

Le maire affirme qu'il veut tourner la page et regagner la confiance des Montréalais. Il prend les grands moyens.

Il n'y a rien de révolutionnaire dans la nomination de Lyn Thériault, une obscure conseillère qui n'a jamais cassé la baraque, fidèle à Vision Montréal depuis 2001, une rareté dans le monde municipal, où les élus changent de parti comme de chemise.

Par contre, le maire n'a pas eu peur de choisir le bouillant Richard Bergeron, un homme qui parle plus vite que son ombre et qui brasse la cage. Ça prenait de l'audace pour nommer le chef de Projet Montréal dans le saint des saints. Et le maire lui donne une responsabilité importante: l'urbanisme.

Audace ou calcul diabolique? Gérald Tremblay a-t-il mis ses adversaires dans sa petite poche en les associant à ses décisions? Car l'opposition se retrouve un peu coincée. Comment pourra-t-elle critiquer des décisions qu'elle aura entérinées?

Pour Lyn Thériault, passe encore. La chef Louise Harel pourra critiquer le maire puisqu'elle ne siège pas au comité exécutif. Mais pour Richard Bergeron, la gymnastique risque d'être drôlement plus acrobatique. On parle au moins d'un double salto arrière.

M. Bergeron le sait. Hier, il entrevoyait déjà les pièges: «Je devrai faire preuve de jugement et mettre de l'eau dans mon vin, a-t-il dit. L'exercice est délicat.»

On verra à l'usage. Premier test: le budget, qui devrait être déposé en décembre.

Montréal, une ville affaiblie par les scandales, se retrouve avec un maire tout-puissant et une opposition en partie émasculée. Pas sûr que ce soit une bonne nouvelle.