Seize heures. Un ami proche de Natasha Cournoyer entrouvre la porte, le visage bouleversé, les traits tirés.

«On ne sait pas, on ne sait rien», dit-il.

Natasha a disparu jeudi soir.

«Le temps passe, ça fait déjà cinq jours. On essaie de rester positif, mais on voit des choses horribles à la télé. Toute la famille est là, on est une dizaine. On écoute LCN.»

 

Il referme doucement la porte.

Deux minutes plus tard, c'est au tour du copain de Natasha, Michel Trottier, d'entrouvrir la porte.

«On attend de voir la suite, on attend.»

Il regarde le photographe de La Presse. «Pas de photo!»

La porte se referme avec un claquement sec.

L'attente, l'interminable attente.

* * *

Jeudi soir, Natasha, 37 ans, sortait de son bureau, à Laval. Elle est agente de communication au Service correctionnel du Canada. Sa voiture était garée au fond du stationnement, dans un coin sombre. Vendredi matin, la voiture n'avait pas bougé, mais Natasha, elle, avait disparu.

Sa famille s'est inquiétée, son copain a alerté la police. Elle menait une vie rangée. Ni suicidaire ni dépressive. Une fille sans histoire.

Les recherches se sont intensifiées. Une battue a été organisée dans le bois qui jouxte le vaste stationnement du Service correctionnel. La police de Laval a même offert une récompense de 10 000$. En vain. Toujours pas de trace de Natasha.

Dimanche, son copain a dit aux journalistes qu'il croyait que «quelque chose de terrible» était arrivé à Natasha. Ils se fréquentaient depuis quatre ans, mais ils ne vivaient pas ensemble.

Hier, la famille se serrait les coudes. Quelques heures plus tôt, le cadavre d'une femme avait été découvert à Pointe-aux-Trembles, sous un pylône électrique, dans un champ. Une seule certitude: la femme est blonde, comme Natasha. Rien d'autre.

La famille s'est réunie chez la mère de Natasha, dans sa maison de pierres située dans un quartier résidentiel d'Anjou. Pour attendre. L'attente qui tue.

* * *

17h. Une voiture noire se gare devant la maison des Cournoyer. Deux policiers en civil déboulent, costume sombre, visage fermé.

La porte des Cournoyer s'ouvre rapidement, les policiers s'engouffrent.

Le ciel est couvert de nuages gris. L'orage menace, les branches des arbres ploient sous le vent. Le silence enveloppe la maison, les stores sont baissés. Sur la pelouse trône une grande pancarte électorale de Gérald Tremblay, flanqué de trois candidats. En gros, l'inscription: Montréal va de l'avant!

Un voisin, Michel Lauzon, fume un cigare sur le pas de sa porte. Il connaît les Cournoyer. «Du monde bien fin, bien tranquille.» Le père est mort l'hiver dernier. Le coeur. Il était marin.

Lundi, Mme Cournoyer est venue le voir. Elle lui a raconté sa détresse. «Elle me disait: «C'est épouvantable.» Elle braillait. Elle vit seule depuis la mort de son mari.»

Il croit que Natasha était enfant unique.

«C'est vrai que c'est épouvantable», dit-il en secouant la tête.

Fatiha Hamraoui connaît les Cournoyer depuis trois ans. Sa maison touche pratiquement la leur. «La mère de Natasha est venue me voir pour me dire que sa fille avait disparu, raconte-t-elle. Elle pleurait. On ne se voyait pas souvent. Elle voulait juste me le dire. C'était une femme assez solitaire.»

* * *

17h30. Les policiers sortent de la maison, le visage toujours aussi fermé. Ils marchent d'un pas rapide.

- Est-ce que la femme trouvée dans un champ à Pointe-aux-Trembles est Natasha?

Silence.

- Qu'avez-vous dit à la famille?

Silence.

Les policiers filent dans leur voiture noire, sans dire un mot. Mais les faits sont troublants. La femme morte portait les mêmes vêtements que Natasha.

La porte des Cournoyer s'entrouvre de nouveau.

«Laissez-nous, on ne dira rien», supplie l'ami proche.

Ses yeux rougis et son visage bouleversé en disent plus long que le silence de la police.