L'hiver, je fais du ski de fond sur la montagne. Surtout le matin, quand la ville est assoupie et que le mont Royal n'est pas encore envahi par les Montréalais.

Je pars de la statue de George-Étienne Cartier, au pied de la montagne, et je grimpe jusqu'à la croix. La pente est douce, familière. Elle suit le chemin des calèches, puis elle bifurque dans le bois. À travers les branches, on aperçoit Montréal, ses gratte-ciel, la fumée blanche crachée par les cheminées, le soleil pâle.

 

Je redescends doucement jusqu'au chalet qui surplombe la ville. La vue est époustouflante : le centre-ville en contrebas, les ponts qui enjambent le fleuve pris dans les glaces, les collines à l'horizon, le ciel bleu.

J'ouvre les grandes portes du chalet. Et c'est là que ça se gâte : une salle immense, froide, à moitié vide. Une cinquantaine de chaises et de tables bon marché entassées dans un coin au milieu d'une atmosphère stalinienne.

Pendant des années, il y a eu un casse-croûte qui vendait des sandwichs fatigués et des cafés à l'eau de vaisselle. Il a fermé ses portes cet hiver. Il a été remplacé par des machines distributrices qui distillent du mauvais café.

Quand je vois les touristes assis sur les chaises misérables du chalet, j'ai honte. Honte de la laideur, de ce laisser-aller, de ces tables jetées pêle-mêle, de la cheminée condamnée. Honte de Montréal.

Pourtant, ça fait des années que la Ville se penche sur le chalet et envisage de le rénover. Cette semaine, j'ai parlé à la responsable de la montagne dans l'équipe du maire Tremblay, Helen Fotopulos. Alors, lui ai-je demandé, le chalet aura-t-il un restaurant potable avant le quatrième millénaire ?

Question simple, réponse archicompliquée. Le chalet du lac aux Castors et la maison Smith, tous deux perchés sur la montagne, offrent déjà de la nourriture. La Ville doit donc étudier « l'utilisation du vécu des lieux existants «, a précisé Mme Fotopulos. Comment le chalet s'intégrera-t-il dans ce « vécu « ?

Le vécu ? Quel vécu ?

Le vécu du manger, ai-je compris. Je résume : il ne faut pas qu'il y ait trop de restaurants sur la montagne et chacun doit être complémentaire. L'Institut d'hôtellerie va donc se pencher sur cette grave question.

Puis le dossier cheminera : le rapport de l'Institut, suivi par la réflexion des services de la Ville et des élus qui vont cogiter sur le vécu du manger. Montréal ira ensuite cogner à la porte du ministère de la Culture pour quêter de l'argent.

Et les étapes s'enchaîneront : adoption d'un budget, résolution du comité exécutif, appel d'offres, choix d'un entrepreneur, premier coup de marteau. Compter les délais en années. Pourtant, il ne s'agit que d'un petit resto sympathique qui servira du bon café. Mais rien n'est simple à Montréal.

***

Rêver ? Oui. Les Montréalais ont des idées plein la tête : des ponts peints d'une couleur vive, une plage au bout du boulevard Saint-Laurent, des places publiques, des fontaines. Lisez ces idées et bien d'autres dans le cahier Plus.

Mais ces rêves risquent de frapper un mur. Si la Ville est incapable d'ouvrir un resto tout simple sans se tâter le vécu pendant des siècles, imaginez aménager une plage au bout de la place Jacques-Cartier.

Mon rêve : simplifier Montréal et assouplir la bureaucratie pour que les rêves soient possibles.