Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, était fâché, hier. Le visage rouge, l'émotion à fleur de peau, il bouillonnait. Il a accusé La Presse d'avoir torpillé une enquête policière et sali sa réputation.

M. Tremblay a réagi comme tout bon politicien qui déteste voir la vérité étalée à la une d'un journal: il a tiré sur le messager.

Hier, les journalistes l'ont bombardé de questions sur de nouvelles allégations qui ternissent encore une fois son administration.

Oui, M. Tremblay, encore une fois.

Récapitulons: il y a eu six enquêtes policières, cinq sont toujours en cours. Du jamais vu dans l'histoire récente de Montréal.

2004: deux élus de l'arrondissement de Saint-Laurent, membres de l'équipe du maire Tremblay, sont accusés de corruption. Verdict: coupables.

2007: le Centre communautaire intergénérationnel d'Outremont coûte deux fois plus cher que prévu. L'enquête est toujours en cours.

2008: fraude de 8 millions au service informatique. Deux têtes roulent, celles du directeur général et du directeur général adjoint. L'enquête n'est pas terminée.

2008: SHDM. Le vérificateur examine le dossier des ventes de terrains de la SHDM à des promoteurs. Le rapport est accablant. Le dossier est entre les mains de la police.

2009: scandale des compteurs d'eau. Des irrégularités entourent l'attribution du plus important contrat jamais accordé par la Ville. La police enquête, le vérificateur aussi.

Et la dernière, qui faisait la une de La Presse, hier: un entrepreneur qui a obtenu le contrat de réfection du toit de l'hôtel de ville affirme que la mafia lui a demandé 40 000$ destinés à deux élus de l'équipe du maire. Il a compris qu'il devait verser l'argent s'il voulait continuer à travailler. La Sûreté du Québec enquête.

Le maire a reconnu les faits: «Il s'agit bel et bien d'un cas d'extorsion sur un chantier de construction», a-t-il dit.

Une enquête, deux à la limite, on reste dans l'accident de parcours. Mais six, ça commence à ressembler à un système organisé.

Désolée, M. le maire, mais La Presse n'a rien inventé.

Hier, le maire a reconnu que la corruption existe dans le monde municipal et l'industrie de la construction. Que c'est de notoriété publique que des enveloppes brunes passent de main à main.

«Ça fait des décennies qu'il y a des rumeurs dans l'industrie de la construction, il y a même eu l'enquête de la CECO», a-t-il dit.

Si ça fait des décennies, pourquoi le maire n'a-t-il pas fait le ménage? Il est en poste depuis huit ans, il aurait eu amplement le temps.

Le maire a ajouté: «Ce que je n'accepte pas, c'est qu'on relie la Ville de Montréal à des enquêtes dans l'industrie de la construction.»

Mais comment ne pas relier la Ville au dernier scandale? Le contrat de 10 millions pour la réfection du toit de l'hôtel de ville a été attribué par la Ville, ce sont des élus de l'équipe de Gérald Tremblay, Sammy Forcillo et Cosmo Maciocia, qui sont montrés du doigt et c'est le maire lui-même qui a transmis le dossier à la police.

Expliquez-moi, M. le maire. Que cela vous plaise ou non, vous êtes éclaboussé même si c'est vous qui avez alerté la police. J'oubliais, vous refusez de répondre à mes questions. Vous préférez tirer sur le messager.

L'ex-chef de police de la Ville de Montréal et ex-candidat à la mairie, Jacques Duchesneau, en a long à dire sur la corruption.

«Un des problèmes à Montréal, c'est la corruption, m'a-t-il expliqué au début du mois. J'ai parlé à un ancien ministre des Transports qui m'a dit: «On savait qu'on payait 15% de trop à Montréal». Mme Harel a été ministre des Affaires municipales. Qu'a-t-elle fait pour lutter contre la corruption qui existe depuis 25 ans? Rien. A-t-elle fait de l'aveuglement volontaire?»

Hier, j'ai parlé à Mme Harel qui se présente à la mairie de Montréal. «C'est à Mme Normandeau (actuelle ministre des Affaires municipales) qu'il faut poser la question. Que fait-elle avec les cinq enquêtes en cours?»

Bonne question. Réponse: pas grand-chose.

La police multiplie les descentes dans les locaux de la FTQ-Construction, Montréal croule sous les scandales, le maire Tremblay affirme que la corruption est de notoriété publique, l'ex-chef de police, Jacques Duchesneau, en rajoute, un entrepreneur, qui refuse de verser de l'argent au crime organisé, voit une de ses grues flamber. On se croirait au Far West. Qu'attend le gouvernement pour déclencher une enquête publique?

Qu'on trouve un cadavre dans le coffre d'une voiture?

M. Tremblay, vous avez accusé La Presse d'avoir un «agenda» caché. «Ce n'est pas à La Presse d'élire le maire de Montréal, mais aux citoyens», avez-vous dit.

Tout à fait d'accord avec vous. Sauf que La Presse ne cherche pas à élire le futur maire. Elle veut plutôt lever le voile sur la corruption qui plane sur la ville, votre ville.

Des gens, ulcérés par la corruption, nous appellent. Ils nous font des révélations. On vérifie et on publie si l'histoire est solide. Les Montréalais ont le droit de savoir comment leur argent est dépensé. Ou gaspillé. Ça s'appelle le droit du public à l'information.

La Presse se farcit le travail puisque vous êtes incapable de le faire.

Et quand le maire d'une grande ville comme Montréal en est réduit à regarder les enveloppes brunes passer sous son nez, il y a un problème. Hier, vous avez déclaré que vous n'aviez pas besoin du gouvernement pour faire le ménage. Permettez-moi de ne pas être d'accord. Québec doit intervenir, et vite. Une commission d'enquête publique s'impose.

Après tout, Montréal n'est pas le Far West.

Le gouvernement du Québec ne s'est jamais vraiment intéressé à Montréal, à ses problèmes de gouvernance et de corruption. La ministre Normandeau fait preuve d'indifférence, comme si Montréal était un bourg et non la métropole du Québec, un vulgaire dossier qui traîne sur son bureau parmi tant d'autres.

Elle devrait céder son fauteuil à un ministre qui a une sensibilité montréalaise. Ou au premier ministre Charest qui devrait prendre les choses au sérieux. Montréal a besoin d'un grand ménage. Et de quelqu'un qui s'en occupe. Pour de vrai.