«Salut, Michèle, t'as gagné!

- Pas les billets de hockey!»

C'est la première chose que j'ai apprise en arrivant à La Presse vendredi dernier. Je venais de gagner deux billets pour assister au concours d'habileté du match des Étoiles, au Centre Bell.

La Presse a fait tirer deux billets. Je ne gagne jamais rien, je ne risquais donc pas grand-chose en participant au tirage. Je me disais que ça ferait plaisir à mon chum.

 

La fièvre, l'obsession, les statistiques, Kovalev, j'ai beau me tâter, rien. Pas une once d'excitation. Diagnostic: le hockey m'ennuie.

Mais bon, j'avais gagné les billets, mes collègues bavaient de jalousie, j'ai donc décidé de jouer le jeu. Si tout le monde (ou presque) aime le hockey, si Montréal est hockey, si la fièvre s'empare de la ville, si des milliers de gens vibrent en voyant une rondelle revoler sur la glace, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas participer à cette gigantesque fête qui, dois-je le préciser, traîne pendant des mois et des mois, d'octobre à juin.

Une éternité.

Première résolution: m'informer. J'ai passé une partie de mon samedi la tête plongée dans la section sports des journaux, une rubrique que je fréquente peu.

À 18h15, nous étions dans l'autobus, mon chum et moi.

«Regarde, lui ai-je dit, j'ai apporté un livre au cas où je trouverais le temps long.»

Mon chum a levé les yeux au ciel.

Le type assis à côté de moi m'a lâché un regard, mais un regard! Je ne peux pas vous dire. Un mélange d'incrédulité et de condescendance enrobé d'indignation à peine contenue. Il portait un chandail du Canadien.

Un fan, un vrai. 32 ans, passionné par le hockey. Il a payé son billet, lui: 450$. Bon pour deux soirs: samedi pour le concours d'habileté et dimanche pour le match des Étoiles.

Il investit 10 000$ par année pour acheter des billets de hockey. Un bon client du Centre Bell. Alors une fille qui a un billet gratuit, qui soulève des doutes sur l'intérêt de la soirée et qui, en plus, ose, je dis bien ose, apporter un livre pour se désennuyer, c'est l'insulte, l'injure. Sus à l'hérétique qui ose cracher dans la soupe bénie du hockey!

Je venais de rencontrer un croyant du hockey. Car le hockey est une religion, n'en doutez pas.

Ça promet, me suis-je dit.

Lundi, j'ai appelé deux spécialistes du hockey. Pas des sportifs, non, non, des professeurs d'université qui ont disséqué l'âme du partisan en se posant une question: le hockey est-il une religion?

La réponse est mitigée.

Olivier Bauer est théologien. Il enseigne à l'Université de Montréal. Il consacre tout un cours à la religion du Canadien. Son verdict: le hockey contient beaucoup d'éléments religieux. «Le langage est religieux, raconte-t-il. Certains disent: «Manquer un match, c'est péché.» D'autres montent les marches de l'oratoire Saint-Joseph à genoux la veille d'un match.»

Et comme dans toute religion qui se respecte, il y a des mécréants, des fanatiques, des tièdes et des athées.

Benoît Melançon, lui, est directeur du département des littératures de langue française. Il a écrit un chapitre dans le livre La religion du Canadien de Montréal, dirigé, entre autres, par Olivier Bauer. Sa spécialité: le Rocket.

«Quand Maurice Richard est mort, dit-il, sa famille a vendu aux enchères un de ses chandails qui n'avait jamais été lavé. Certains l'ont comparé au saint suaire.»

«Le hockey a ses cultes, ses reliques, ses prières», ajoute-t-il. Notre Père Le Rocket, qui êtes aux cieux.

Montréal n'est pas une exception. On trouve le même phénomène avec le soccer en Europe, le baseball et le football aux États-Unis.

Mais revenons au Centre Bell.

Deuxième résolution: me payer la totale. Deux hot-dogs, un sac de chips, une bouteille d'eau, 15$. Pour couronner le tout: un beigne bien gras. Une soirée, une vraie.

J'ai grimpé haut, très haut, dans les gradins blancs, avec mes hot-dog froids et mes chips en équilibre dans une boîte de carton. J'avais une vue plongeante sur la patinoire, où les joueurs, réduits à de minuscules figurines, s'agitaient.

Le son m'a jetée par terre: fort, tonitruant. Le concours a commencé à 19h. À 19h20, je regardais ma montre. À 20h, je sortais mon livre. Puis un frisson d'excitation, ténu, je l'avoue, a parcouru mon cerveau lorsqu'il y a eu les tirs de barrage. J'ai même poussé quelques oh! et ah!

Mais à part ce fugitif moment de plaisir, l'élan d'enthousiasme qui jette le fan en transe ne m'a pas atteinte. J'ai trouvé la soirée longue et bruyante.

Le verdict est clair: je suis une indécrottable athée, dans la vie comme au hockey. Suis-je la seule dans cette ville?