Oh! Que le maire de Montréal était fâché, hier.

Gérald Tremblay a convoqué les médias. Il était outré. «Assez, c'est assez! Il faut que les campagnes de salissage cessent!» a-t-il dit en frémissant d'indignation.

Face à lui, une horde de journalistes attirés par l'odeur de scandale qui flotte sur la Ville.

Gérald Tremblay s'est défendu pendant 15 minutes, puis les journalistes ont «attaqué». Au fil des questions - certaines assez corsées -, la superbe du maire s'est effilochée, ses certitudes se sont muées en doutes. Le lion a fini en souris.

 

Mais reprenons le dossier depuis le début.

Deux sociétés paramunicipales, qui gèrent les 300 millions du parc immobilier de la Ville, ont été fusionnées et transformées en organisme privé le 1er janvier 2007. Le but officiel: sauver de l'argent en éliminant les chevauchements.

Tout a été fait selon les règles de l'art, a assuré M. Tremblay: la nouvelle entité, la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM), reste sous la surveillance des élus et elle est assujettie à la Loi sur l'accès à l'information.

C'est le directeur des affaires corporatives, Robert Cassius de Linval, qui a piloté le dossier. Il n'a pas demandé la permission de Québec pour fusionner les deux sociétés. Pas nécessaire, a-t-il dit en brandissant un avis juridique d'un professeur de droit lors d'une réunion du comité exécutif le 8 novembre 2006.

Le gouvernement était au courant, a ajouté M. Tremblay. Tous les papiers ont été déposés au ministère des Affaires municipales.

Les faits contredisent cette version rose qui fait une belle jambe au maire.

Premièrement, le contentieux de la Ville n'était pas d'accord: Québec doit approuver la transformation. M. Cassius de Linval jure qu'il a prévenu les élus.

Le chef de l'opposition, Benoit Labonté, était à la fameuse réunion du 8 novembre 2006 où tout a été ficelé. Il affirme que l'opposition du contentieux n'a jamais été mentionnée.

Depuis 2002, aucun des 417 avis négatifs du contentieux n'a été déposé au comité exécutif. La raison est simple: si les avocats de la Ville disent non, c'est parce que le projet est illégal. Il est donc tué dans l'oeuf avant de se rendre au comité exécutif.

Qui dit vrai: M. Cassius de Linval ou M. Labonté?

Le ministère des Affaires municipales affirme que la Ville ne lui a jamais demandé s'il avait le droit de transformer deux sociétés paramunicipales en organisme privé.

Oui, la Ville a déposé tous les documents, comme l'affirme le maire, mais six mois après la transformation. De plus, ils avaient été glissés dans une pile de documents qui n'avaient rien à voir avec le changement juridique de la SHDM. Le ministère n'y a vu que du feu.

Quant à la Loi sur l'accès à l'information, un journaliste de La Presse a fait une demande auprès de la SHDM au printemps. La réponse: désolé, nous ne sommes pas assujettis à la Loi.

Le ministère des Affaires municipales confirme: la SHDM échappe à la loi.

Au-delà des entourloupettes techniques, il reste un fait: la SHDM est moins transparente, quoi qu'en dise M. Tremblay.

Les élus sont désormais exclus du conseil d'administration de la SHDM et la Ville ne nomme plus les membres du CA, elle n'a qu'un pouvoir de recommandation.

Autre point que M. Tremblay a passé sous silence - à moins qu'il ne l'ignore -, le vérificateur de la Ville a été obligé de mettre son poing sur la table pour que la nouvelle SHDM tombe sous sa juridiction.

La SHDM est moins transparente, les élus peuvent donc plus difficilement y mettre leur nez. Pourtant, elle brasse des millions. Depuis qu'elle a été transformée en organisme privé, des faits troublants ont entaché sa réputation.

L'ancien directeur général, Martial Fillion, qui a été suspendu avec solde le 10 octobre, est au coeur des allégations d'irrégularités. La firme KPMG a d'ailleurs été mandatée pour effectuer des vérifications. La question: Martial Fillion a-t-il indûment favorisé le promoteur Frank Catania dans le projet Contrecoeur?

La Ville a vendu le terrain du Faubourg Contrecoeur à la SHDM pour la somme de 1,6 million. La SHDM l'a, à son tour, vendu 4,3 millions à Catania. Pourtant, le terrain était évalué à 23,5 millions.

Le directeur responsable des transactions immobilières de la Ville, Joseph Farinacci, s'est opposé à la vente du terrain. L'administration Tremblay est passée par-dessus sa tête. Ulcéré, il a démissionné.

Avant de travailler à la Ville, M. Farinacci était directeur du développement immobilier à la Caisse de dépôt. Un homme compétent, apprécié. Monsieur crédibilité.

Il a accepté de dénoncer publiquement la Ville. Ça prenait un sacré courage. D'autres devraient l'imiter.

En conférence de presse, Gérald Tremblay a dit qu'il était au courant du départ de M. Farinacci. «J'ai eu des explications et je suis satisfait», a-t-il dit.

Satisfait? Le maire perd son directeur responsable des transactions immobilières parce qu'il s'est opposé à une vente douteuse et il est satisfait?

La version de Gérald Tremblay ne tient pas la route. Trop de trous. De deux choses l'une: ou il a volontairement escamoté les faits qui jettent une ombre sur sa ville ou il n'était pas au courant.

Dans les deux cas, il y a un problème. Le maire aura beau se choquer, ça ne change rien à la réalité: l'intégrité de son administration est remise en question.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca