Le gouvernement canadien a mis le paquet pour obtenir la libération de Mellissa Fung, journaliste du réseau anglais de la CBC enlevée en Afghanistan.

La GRC, la Défense nationale, les Affaires étrangères, les services secrets, le bureau du premier ministre Stephen Harper et l'ambassade du Canada à Kaboul ont participé à l'opération sauvetage.

 

Le but était noble: sauver la vie de la journaliste. Mais les effets pervers risquent d'être importants. Les talibans vont vite comprendre que le Canada est prêt à tout pour faire libérer ses ressortissants.

La vie de Mellissa Fung est sauve, mais, à long terme, c'est la sécurité de tous les Canadiens en Afghanistan qui risque d'être compromise. Le pays vit une frénésie de kidnappings. Les étrangers sont enlevés ou tirés à bout portant en plein jour dans les rues de Kaboul. La sécurité dérape. La guerre aussi, d'ailleurs.

Il n'y a pas que les talibans qui s'enhardissent; les criminels aussi en profitent pour kidnapper des étrangers et des Afghans. Le même scénario catastrophe qu'en Irak.

Stephen Harper et Radio-Canada jurent qu'aucune rançon n'a été versée. Dans ce cas, pourquoi Mellissa Fung a-t-elle été libérée après 28 jours de captivité? Qu'est-ce que les gouvernements canadiens ou afghans ont donné en échange? Rien? Ça m'étonnerait.

Qui sont les ravisseurs? Des talibans ou des criminels? M. Harper refuse de répondre. Un silence qui en dit long.

Les talibans financent leur guerre en enlevant des étrangers. C'est leur deuxième source de revenus. L'an dernier, la Corée a craché 21 millions pour obtenir la libération de 21 de ses ressortissants. Un million par otage.

En négociant, le Canada se place dans une position intenable. Difficile de faire la guerre aux talibans d'une main et de négocier la libération d'un otage de l'autre. Délicat de demander aux services secrets canadiens d'utiliser à fond leurs contacts locaux dans une opération sauvetage, puis de revenir à la routine de la guerre comme si de rien n'était.

Car parmi ces contacts locaux, il y a inévitablement des sympathisants talibans. Ils voudront monnayer leur coup de pouce. Tout a un prix, surtout en Afghanistan.

Mais le gouvernement Harper était coincé. S'il refusait de négocier, il risquait de sacrifier la vie de Mellissa Fung.

À chaque prise d'otage, la même question revient, lancinante, quasi impossible à trancher: faut-il négocier avec les ravisseurs?

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Et que dire du silence des journalistes? Tous les grands médias canadiens-anglais étaient au courant du kidnapping depuis le début. Tous, sans exception, ont opté pour le silence.

Auraient-ils fait preuve de la même solidarité pour un travailleur humanitaire d'une obscure ONG? Plusieurs médias ont publié le nom de la journaliste canadienne kidnappée en Somalie le 23 août. Pourquoi? Parce qu'elle était pigiste et qu'elle n'avait pas la machine de Radio-Canada pour la protéger? Elle est toujours aux mains de ses ravisseurs et personne ne s'en émeut.

Mellissa Fung a été kidnappée le 12 octobre, soit deux jours avant les élections canadiennes. Pendant la campagne électorale, Stephen Harper a réussi à ne pas trop s'enfarger dans la question afghane.

Et si la nouvelle du kidnapping de Mme Fung était tombée comme une bombe dans la dernière ligne droite de la campagne? Comment les électeurs auraient-ils réagi en apprenant que le gouvernement négocie avec des talibans ou des criminels?

Est-ce que cette histoire aurait influé sur le vote des électeurs? Peut-être. Mais c'était aux Canadiens de trancher et non aux médias, qui, Radio-Canada en tête, ont imposé un embargo.

Les journalistes sont les premiers à brandir le droit du public à l'information, mais ils deviennent drôlement frileux lorsque l'un des leurs est menacé.

Le Canada est en guerre, ses soldats meurent. Une guerre qui coûte des milliards. Pourtant, c'est dans le silence et avec la complicité des médias que le gouvernement Harper a négocié avec l'ennemi pour sauver une vie humaine. En dehors de tout débat public.

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«Et si tu étais kidnappée, comment réagirais-tu?» m'ont demandé des collègues à qui je faisais part de mes doutes sur le silence troublant des médias.

Je paniquerais. Évidemment. J'ai été plusieurs fois en Afghanistan et la dernière chose que je souhaite, c'est passer un mois dans une cave humide de Kaboul avec un bandeau sur les yeux. Je prierais tous les dieux de la terre et les saints de l'univers, moi, l'athée finie, pour être libérée. J'allumerais des cierges pour que mon journal et le gouvernement canadien déploient des efforts surhumains pour me sortir de là.

Mais lorsqu'un journaliste décide de couvrir une guerre, il doit en assumer les risques. Parlez-en à Patrice Roy. Radio-Canada a d'ailleurs dû répondre à des questions corsées au lendemain de l'incident où le blindé de Roy a sauté sur une mine.

«Vos journalistes étaient-ils bien préparés? Avaient-ils suffisamment d'expérience?»

Les médias, aussi, ont une responsabilité. En envoyant des journalistes en Afghanistan, ils savent qu'ils devront demander l'aide du gouvernement pour négocier leur libération s'ils sont pris en otages.

Je ne dis pas qu'il ne faut pas négocier. Je ne peux que sympathiser avec Mellissa Fung. Mais en se faisant kidnapper, elle a placé, bien malgré elle, le gouvernement dans une position de vulnérabilité. Dans une guerre qu'il est en train de perdre. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le chef de l'armée britannique, le général Mark Carleton-Smith. L'OTAN, a-t-il déclaré en octobre, est incapable de venir à bout des talibans.

Alors, que fait-on? On négocie avec l'ennemi, quitte à en payer le prix? Ou on opte pour la ligne dure au risque d'avoir la mort d'un journaliste sur la conscience?

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