On peut reprocher certaines choses à Christiane Charette, entre autres d'être un peu brouillonne, d'oublier de présenter correctement ses invités, de réunir trop de gens autour de sa table (difficile de suivre une discussion à six), mais on doit reconnaître une chose : avec elle, on ne s'ennuie jamais.

Sa présence depuis deux dimanches sur Ici Première nous rappelle que cette formidable animatrice est indispensable à la radio. Contrairement à certains de ses collègues qui sévissent cet été sur les mêmes ondes, Christiane Charette maîtrise l'art d'élever ses invités afin de faire exploser les sujets au programme. En tout cas, c'est exactement ce qui s'est passé dimanche dernier lors d'une émission particulièrement enlevante.

Une discussion sur le nouveau film de Denys Arcand a donné lieu à un échange musclé et enrichissant comme nous en avons trop peu dans les médias québécois. Devant un Franco Nuovo gonflé à bloc venu défendre l'oeuvre de celui qui est son ami depuis plusieurs années, le critique de cinéma Alexandre Fontaine-Rousseau est venu bravement (ou inconsciemment) présenter son point de vue. Accusé par Nuovo de «lapider» Arcand en le traitant outrancièrement de «mononc», le critique du magazine 24 Images a répliqué en disant «qu'à un moment donné, il fallait que le message passe».

Entre ces deux hommes enflammés, Maripier Morin, vedette féminine de La chute de l'empire américain, a évidemment pris la défense de celui qui lui a donné sa première chance au cinéma en déclarant qu'Arcand n'était «quand même pas un ostie de cave».

Pour un instant, j'ai eu l'impression de revivre les beaux jours de La bande des six. Oh, que ça faisait du bien!

Si les deux heures de l'émission diffusée en direct de la Taverne du Pélican (plus de micros pour nous faire sentir le public, s'il vous plaît) n'avaient été composées que de discussions embrasées, le ton serait vite devenu lourd. Heureusement, on a pu compter sur la présence du comédien Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, ce dandy déjanté qui met tout le monde dans sa poche avec son humour élégant et incisif. Évoquant l'amitié que son grand-père a connue avec Albert Camus, il a avoué que cela ne l'aidait pas beaucoup dans ses conquêtes amoureuses. «Sur Tinder, ça n'a pas été très fructueux.»

En deuxième partie, l'actualité des derniers jours a obligé le groupe d'invités à revenir sur ce qui est convenu d'appeler «L'affaire SLĀV». Face à Christian Rioux, correspondant du Devoir à Paris, qui croit fermement qu'on n'avait pas le droit de censurer ce spectacle, la journaliste Judith Lussier, venue parler avec Coco Béliveau du cabaret Fuck la culture du viol, a dit que les différentes parties avaient manqué d'écoute.

«Je n'ai pas de problème avec le fait qu'on démolisse un artiste, qu'on le critique, mais qu'on censure son oeuvre, ça, je ne l'accepte pas, a répété de son côté Christian Rioux. Pourquoi demande-t-on à Robert Lepage d'aller négocier avec des groupes de pression? Il a raison de ne pas le faire.»

Durant cette émission, Christiane Charette a déploré le fait que durant toute cette affaire, on a été privés d'une belle occasion de discuter ouvertement et librement de l'épineux sujet. Elle a aussi dit que les enjeux liés aux différents débats qui s'offrent à nous sont plus nombreux et que beaucoup de gens qui auraient envie de s'exprimer ont peur de le faire, craignant de se mettre les pieds dans les plats.

C'est vrai que beaucoup de commentateurs et d'observateurs ont le pied sur le frein de la rectitude politique. D'autres tirent sur le frein à main pour éviter des dommages collatéraux. On a vu ces dernières années des réputations écorchées et des carrières écourtées à cause de certains points de vue qui sortaient des sentiers battus.

À l'heure où les opinions sont livrées et publiées sans possibilité de réplique, il est très agréable de renouer avec l'art de la discussion, celle qui brasse, qui peut faire mal et déranger, mais celle également qui nourrit, qui fait avancer la pensée et qui nous fait sentir moins seuls.

Vouloir discuter est une chose, mais avoir la possibilité de le faire en est une autre. Pour cela, il faut le bon espace, un espace dépouillé de contraintes et d'annonceurs bien-pensants. Il faut les bons débatteurs. Nous avions de bons exemples dimanche. Et il faut une bonne animatrice, quelqu'un qui fait preuve d'écoute, qui n'hésite pas à mettre une bûche dans le poêle quand il le faut pour nourrir la discussion et qui est capable de franchise. «J'avoue que je ne sais plus quel est véritablement le sens du mot "viol" et de l'expression "agression sexuelle"», a osé dire Christiane Charette à la féministe Judith Lussier.

Durant ces deux heures de radio captivantes (que je vous invite à écouter en balado), on a dit que le nouveau film de Denys Arcand était doté d'une «coquille de film d'action». Je ne sais pas si je suis d'accord avec ça. Mais ce dont je suis sûr, c'est que tout en abordant des sujets sérieux et légers, Christiane Charette a envie de faire de la radio d'action. Et ça, on ne peut que l'apprécier.