Les amateurs de cannabis n'ont pas encore roulé leur premier joint légal que déjà, ils sont menacés d'être privés de leurs droits... dans leur propre demeure. Ceux qui s'imaginaient dans la quiétude de leur salon en train de partager un pétard entre amis auront peut-être à mener quelques batailles avant de voir la vie en rose.

Un lecteur m'a envoyé l'avis de convocation à une assemblée extraordinaire que le syndicat des copropriétaires du 6150, avenue du Boisé, à Montréal, a fait parvenir aux propriétaires de condos de cet immeuble qui fait partie du complexe du Sanctuaire Mont-Royal. Au cours de cette réunion, on demandera aux propriétaires de voter sur l'adoption, ou non, de règlements interdisant la consommation et la culture du cannabis dans les parties communes de la copropriété.

Mais surtout, on présentera une résolution visant à interdire la consommation du cannabis dans les parties privatives de la copropriété. En d'autres mots, si le règlement est adopté, même si la loi fédérale qui doit entrer en vigueur en août prochain décriminalisera la consommation de cannabis, il ne sera pas permis à ces propriétaires (ou à leurs locataires) de fumer du pot chez eux.

Il est clair que l'on veut procéder rapidement. L'équipe administrative du syndicat souhaite débattre de la question avant que la loi fédérale ne soit mise en oeuvre. «En effet, lorsque le gouvernement fédéral aura adopté la loi C-45, il sera plus difficile de modifier la déclaration de copropriété pour interdire la consommation et/ou la culture dans votre copropriété», peut-on lire dans le document envoyé aux copropriétaires dans le but de les préparer à l'assemblée qui aura lieu le 3 mai.

Ce que je trouve aberrant dans cette opération, c'est que les administrateurs reconnaissent que la police ne pourra plus intervenir auprès des consommateurs de cannabis après l'entrée en vigueur de la loi fédérale. Ils veulent donc obtenir le pouvoir de «sanctionner» eux-mêmes les fumeurs de pot.

Bref, le gouvernement légalise le cannabis, mais un petit groupe d'administrateurs veut obtenir le droit de pouvoir jouer à la police.

«Pour l'instant, une multitude de personnes considèrent que c'est un phénomène et/ou un comportement social qui doit être réprimé, pour diverses considérations. Il faut donc miser sur ce consensus pour interdire dès maintenant ces pratiques dans votre copropriété, puisqu'après la législation, ce consensus pourrait s'effriter», écrivent les administrateurs dans le même document.

Encouragés par l'Association des propriétaires d'appartements du Grand Montréal qui, en février dernier, recommandait aux propriétaires d'interdire à leurs locataires la consommation de marijuana dans leurs logements, plusieurs groupes de copropriétaires de condominiums de la région de Montréal sont présentement en train d'organiser des assemblées afin de voir s'ils doivent ou non interdire la consommation de cannabis dans leurs lieux, selon Me Yves Joli-Coeur, l'avocat qui représente le syndicat du 6150, avenue du Boisé. Par ailleurs, ce dernier croit que la décision d'interdire la consommation de marijuana à l'intérieur des copropriétés est tout à fait défendable.

Un autre aspect dont il faut tenir compte, toujours selon Me Joli-Coeur, c'est la question de la culture du cannabis à domicile. Les dangers et les risques d'humidité engendrés par cette culture feront partie du portrait général d'assurabilité d'un immeuble. Il faut toutefois savoir que la loi fédérale C-45 ne permet pas plus de quatre plants par unité et que, pour le moment, le Québec s'oppose totalement à la culture à domicile.

Nous en sommes donc là : à attendre l'arrivée de cette loi à plusieurs têtes (fédérale, provinciale, municipale) qui, pour le moment, n'annonce rien de très clair. Pendant ce temps, une nouvelle police formée de bien-pensants est en train de décider que l'on pourra fumer trois paquets de cigarettes et boire une bouteille de scotch tous les jours dans notre condo, mais pas de cannabis. Comme m'a si bien dit un copropriétaire du 6150, avenue du Boisé : «Un gars soûl avec sa cigarette est aussi dangereux que quelqu'un qui fume un joint.»

Que craint-on au juste? Qu'un fumeur de pot mette le feu à l'immeuble? Qu'il se mette à chanter des extraits de la comédie musicale Hair à tue-tête à trois heures du matin? Que les voisins d'un fumeur de pot, incommodés par la fumée qui pourrait passer à travers les murs, aient tout à coup des hallucinations? Je pense sincèrement que tout cela découle d'un sentiment de panique chez des gens mal renseignés et un peu trop bien intentionnés.

Cet abus du pouvoir privé démontre qu'il n'est pas facile de faire évoluer, à l'unisson, la pensée des membres d'une même société.

Cela démontre aussi qu'il existe un flou énorme dans la mise en place de ce changement majeur. Cela démontre, enfin, qu'il y aura une longue transition à vivre avant de parvenir à la normalité.

On se dirige lentement mais sûrement vers de grosses batailles auxquelles seront greffées des notions de droits et libertés des citoyens. Ce n'est qu'une question de temps avant que les contestations et les démarches juridiques s'enclenchent. Il sera alors très difficile, entre les diverses juridictions, de savoir qui a raison et qui a tort.

En attendant, des administrateurs tentent d'adopter de telles interdictions dans leur immeuble. Quant aux propriétaires, certains militent pour les obtenir, d'autres jugent que leurs droits sont bafoués. Certains pensent même que leur propriété pourrait perdre de la valeur en étant anti-cannabis.

Qui sait? On verra peut-être un jour dans des revues immobilières : «Petit bijou dans Rosemont. Magnifique condo de 800 mètres carrés situé au rez-de-chaussée, trois chambres à coucher, grande salle de bains, plafonds de 3,50 mètres, foyer au gaz propane et droit de fumer du cannabis à volonté. À qui la chance?»