Seriez-vous prêt à voir votre addition de resto gonflée par un pourboire intégré? Seriez-vous prêt à abandonner cette vieille tradition du pourboire volontaire et à laisser aux restaurateurs le soin de fixer un prix global? Seriez-vous prêt à adhérer à un système qui créerait un meilleur partage entre tous les employés?

Ces questions sont au coeur d'un débat qui refait régulièrement surface. Cet épineux sujet divise l'opinion et suscite des appréhensions. Quelques rares restaurants américains et canadiens ont tenté d'adopter un système de pourboire intégré comme on en voit en France et dans d'autres pays. Le choc a été trop grand pour les clients et le succès a été, au bout du compte, mitigé.

Au Québec, depuis toujours, on est habitué à un système de libre choix principalement guidé par trois critères : le degré de notre humeur, le degré d'efficacité et de courtoisie du serveur et notre degré d'alcool (précisons que ce troisième critère a un impact sur le premier).

Un changement pour un système intégré serait souhaité par près de la moitié des Canadiens. Un sondage Angus-Reid réalisé l'an dernier montrait que 40% des Canadiens seraient favorables à l'élimination du pourboire et l'adoption d'un système intégré.

François Meunier, l'un des porte-parole de l'Association des restaurateurs du Québec (ARQ), croit qu'il serait difficile de réaliser une conversion au système du pourboire intégré. Selon lui, le client n'est pas prêt à voir des steaks à 35 $. 

Il ne faut pas oublier qu'en incorporant le pourboire au prix total, cela ferait augmenter le montant des taxes à payer.

Du côté des restaurateurs, ce système leur ferait perdre des crédits d'impôt auxquels ils tiennent. Selon M. Meunier, sur un chiffre d'affaires de 1 million, le propriétaire d'un restaurant peut aller chercher des crédits d'impôt de l'ordre de 12 000 $.

N'empêche, le système de pourboire volontaire est parfois difficile à gérer. Faut-il laisser 15, 18, 20 ou 25% en pourboire? Faut-il le faire avant ou après les taxes? Doit-on gonfler la somme et tenir compte de l'ensemble du personnel (maître d'hôtel, serveur, aide-serveur, sommelier, cuisinier, plongeur, etc.)?

La journaliste torontoise Vanmala Subramaniam, du site Vice, abordait la question des sommes à laisser dans un article publié la semaine dernière. Elle évoquait des données de la firme Square Up (système de terminaux mobiles pour les paiements par carte) sur les villes canadiennes les plus et les moins généreuses en matière de pourboires. Je suis allé consulter ces résultats.

C'est la ville de Vancouver qui arrive en tête avec une moyenne de 16,47% par client. Ottawa arrive au deuxième rang avec 15,65%. Viennent ensuite Montréal, Toronto et Halifax avec, respectivement, des moyennes de 14,74, 14,59 et 14,47%. Étonnamment, Calgary, la ville canadienne la plus riche, arrive derrière ses consoeurs avec une moyenne de 14,20%.

Outre la question de la somme à payer et la manière de le faire, François Meunier croit que le problème qu'il faudrait d'abord régler est celui du partage des pourboires entre l'ensemble des employés d'un restaurant. En décembre dernier, le restaurateur Patrice Gosselin a lancé un pavé dans la mare en réclamant un pourboire pour les cuisiniers. Il a fait valoir qu'au Québec, les cuisiniers touchaient en moyenne de 16 à 18 $ l'heure, alors que le salaire des serveurs atteignait en moyenne 26 $ l'heure.

«Les pourboires vont la plupart du temps à ceux qui offrent le service», m'a dit François Meunier. Selon l'ARQ, seulement 20% des cuisiniers touchent une part des pourboires. Ce chiffre est plutôt étonnant quand on sait que de plus en plus de restaurants fonctionnent selon une approche communautaire (on se fait parfois servir par quatre serveurs différents). Précisons qu'au Québec, depuis le 1er mai dernier, les salariés à pourboires gagnent au moins 9,45 $ l'heure, alors que le salaire minimum est de 11,25 $ pour les autres.

Je suis tout à fait d'accord pour qu'un partage des pourboires existe entre tous les employés d'un restaurant. Mais je crois que cela incombe aux restaurateurs d'instaurer cette manière de faire. 

Je ne pense pas qu'il revient aux clients de prévoir une somme supplémentaire pour récompenser l'ensemble du personnel.

De leur côté, les serveurs ne sont pas prêts à laisser filer les 18% (c'est de plus en plus la norme) de pourboires qu'ils touchent sur chaque facture et à les partager avec tous leurs collègues. Je prévois qu'au cours des prochains mois, on assistera à une opération afin que les consommateurs portent ce pourcentage à 25 % ou même 30% afin de régler ce litige.

Par ailleurs, le sondage Angus-Reid dit aussi que 61% des Canadiens pensent qu'offrir un pourboire n'est plus une façon de récompenser un bon service. Selon eux, un certain automatisme s'est installé. Laissez-moi vous dire que je ne fais pas partie de cette majorité.

En Amérique du Nord, le client détient encore un certain pouvoir. Il peut déplier les vêtements, il peut demander qu'on lui ouvre les boîtes, il peut palper un melon à la fruiterie de son quartier sans se faire dire sèchement par le propriétaire : «Monsieur, le melon n'aime pas cela», comme cela m'est arrivé une fois en France.

Le client peut donc décider d'offrir 10 ou 5% de pourboire à un serveur désagréable ou lors d'une expérience désastreuse dans un restaurant. C'est ça, l'avantage du pourboire volontaire.

Ceux qui ont voyagé en Europe, notamment en France, ont tous fait l'expérience d'un serveur avec une «face de beu» qui te lance ton assiette par la tête. Ce serveur se fout de toi et de ton bonheur, car il sait que, de toute façon, il aura droit à son pourboire à la fin du repas.

Et c'est bien connu, les «beus», on préfère les voir dans un pré ou dans une assiette, plutôt que sur un visage.