La vie nous réserve parfois de drôles de surprises. Par un beau dimanche après-midi, on décide d'aller voir les lionceaux au Parc Safari, on déambule tranquillement dans un sentier quand, tout à coup, on entend un appel à la prière à l'intention des musulmans présents.

On a tout à coup moins envie d'aller voir les lionceaux rigolos et candides. On est soudainement envahi par un sentiment de... Par quel sentiment, au fait? Comment décrire cet état qui nous pousse à y aller d'un bon «eux autres»?

Ce «eux autres», je l'ai lu dans les milliers de commentaires rédigés sur la page Facebook du Parc Safari depuis dimanche. «Eux autres et leurs prières.» «Qu'ils nous laissent donc en paix, eux autres.» «On les achale-tu avec nos prières, eux autres?»

D'où vient cette controverse qui n'en est pas une? Elle vient d'une journée d'activités familiales organisée par des membres de l'Association musulmane du Canada, section Montréal. Plus de 900 membres se sont donné rendez-vous dimanche au Parc Safari à l'occasion de l'Aïd al-Fitr, fête religieuse qui marque la fin du ramadan.

Sur le site du Centre communautaire Laurentien et de la mosquée Alrawdah, il est précisé qu'une «plaine de prières» serait réservée, qu'il y aurait des restaurateurs halal et que les mascottes Filouminous seraient présentes. Le groupe avait réservé l'un des dix espaces offerts à n'importe quel groupe qui en fait la demande. Comme ils étaient nombreux, on leur a accordé l'un des plus grands terrains.

Le directeur du Parc Safari, Jean-Pierre Ranger, m'a expliqué qu'un sentier longe le terrain. C'est de ce petit sentier qu'une poignée de visiteurs a entendu un appel à la prière fait sur un mégaphone, et non pas sur les enceintes acoustiques du zoo, comme certains l'affirment.

Des 900 membres de l'Association musulmane, environ 150 se sont rassemblés pour faire une prière qui a duré trois minutes.

Ce fut la seule prière de toute la journée. Les autres membres ont continué à regarder les animaux avec leurs enfants ou à s'ébattre dans la piscine.

Je me suis entretenu hier avec Samer Elniz, porte-parole du Centre communautaire Laurentien. Il a précisé que ce rassemblement a eu lieu pour l'Aïd al-Fitr et aussi pour souligner le 150e anniversaire du Canada. «Après notre prière, nous avons chanté l'hymne national du Canada», m'a-t-il dit fièrement.

Samer Elniz m'a aussi dit que le reste de la journée s'était très bien déroulé. «Il y a même des gens qui sont venus nous acheter de la nourriture.»

On parle de quoi? m'a dit Jean-Pierre Ranger. Il a entièrement raison. On parle de quoi? On parle d'une tempête dans un verre d'eau. On parle d'une bébitte qu'on cherche très fort. On parle d'une autre histoire d'images vidéo trompeuses captées au bon moment et qui met le feu aux poudres sur les réseaux sociaux.

«En 45 ans, on n'a jamais vécu une telle histoire, m'a dit Jean-Pierre Ranger. La dernière fois qu'on a vécu un remous similaire, c'est quand des macaques s'étaient échappés du zoo. C'est pour vous dire.»

Cette «affaire» de prière nous permet de voir à quel point certaines personnes confondent la notion de liberté de religion et le concept de neutralité religieuse que tente d'implanter tant bien que mal le gouvernement au sein de son appareil depuis une dizaine d'années. Et que je sache, le Parc Safari n'a rien à voir avec les organismes publics ou l'Assemblée nationale. Quoique... Mais ça, c'est un autre sujet.

Le Parc Safari multiplie les efforts pour montrer son ouverture d'esprit et son sens de l'inclusion. Sur sa page Facebook, on souligne la fête du Canada, la Saint-Jean-Baptiste, la fête des Pères, alouette. La direction était fière d'accueillir ces 900 personnes de l'Association musulmane du Canada comme elle est fière de recevoir des gens de toutes les nationalités, de toutes les langues, de toutes les religions, de toutes les orientations sexuelles.

Fort heureusement, ce n'est pas tout le monde qui pense que la prière musulmane ne devrait pas avoir lieu au Parc Safari. Parmi les 3500 commentaires publiés sur la page Facebook du zoo, la grande majorité adoptent un ton positif.

Malheureusement, on retient surtout les commentaires racistes qui égratignent l'image de la société québécoise.

Pour faire contrepoids, des petits futés ont publié hier sur les réseaux sociaux la programmation de Pédestr'Art, un évènement culturel qui avait lieu le week-end dernier à Sainte-Béatrix. Par quoi commençait-on la journée de dimanche, pensez-vous? Par une messe en plein en air. Mais évidemment, on ne parle pas de cela. La messe fait partie de «nos» valeurs, de «notre» patrimoine, de «notre» histoire.

Je reviens à ma question sur le sentiment qui a envahi ceux qui se sont déchaînés sur les réseaux sociaux depuis la diffusion de cette image. Ça s'appelle comment? Ça s'appelle la méconnaissance de l'autre. Ça s'appelle la peur d'être menacé. Et tout cela prend la forme d'un mécanisme de défense plus proche de l'animal que de l'humain.

Je lisais ces commentaires haineux et je repensais à un autre sentiment, celui qui nous avait tous gagnés au lendemain de l'attentat dans la mosquée de Québec en janvier dernier. Nous sommes loin de l'élan de fraternité et d'inclusion qui a régné dans les jours qui ont suivi, vous ne trouvez pas? Dieu que nous avons parfois la mémoire courte...

Alors, si nous allons au Parc Safari cet été et que nous entendons un appel à la prière, remettons-nous-en au lionceau et à l'éléphant. Au premier, empruntons sa candeur et sa pureté. Au second, volons sa mémoire. Ça pourra servir.