Michel Phaneuf se souvient très bien comment c'est arrivé. Il était avec sa protégée Nadia Fournier et venait d'ouvrir une bouteille de vin afin de procéder à une dégustation.

Les deux critiques qu'une trentaine de vendanges sépare s'apprêtaient à partager leurs impressions lorsque Nadia a lancé : « Il est bouchonné ! » Michel Phaneuf a sursauté. « Un vin bouchonné, je pouvais détecter cela très facilement. Pour moi, ce vin m'apparaissait normal. J'ai alors compris que quelque chose n'allait pas. »

Le premier Québécois à avoir lancé un guide annuel du vin, au début des années 80, le critique qui fut une référence pendant des décennies pour des milliers d'amateurs de ce nectar, l'homme qui voyageait sans cesse à la recherche des meilleurs crus découvrait brutalement que la maladie de Parkinson diagnostiquée chez lui en 2008 était en train de le priver de son plus grand plaisir. En foutant le camp, le goût et l'odorat venaient de sonner le glas de son métier.

« Ç'a été un coup terrible à encaisser, c'est sûr. Mais rapidement, je me suis mis à réfléchir à ce que je pouvais faire pour garder la tête hors de l'eau. »

- Michel Phaneuf, au sujet de son diagnostic de la maladie de Parkinson

Installé sur la terrasse d'un café de Mont-Royal par une matinée où triomphait la lumière d'automne, Michel Phaneuf me parle de sa vie, des moments exaltants qu'il a vécus, mais aussi des épreuves qu'il a traversées. Il me parle surtout de la manière dont il veut prendre une revanche sur sa maladie.

« Je suis chanceux, la progression est lente, dit-il. Mon neurologue est heureux de cela. » Ce médecin, c'est Michel Panisset de l'hôpital Notre-Dame. Il a toute la confiance de son patient. Un patient curieux des plus récentes découvertes du monde médical. C'est ainsi que Michel Phaneuf a fait la rencontre d'un autre chercheur, le docteur Denis-Claude Roy, spécialiste de la thérapie cellulaire (voir encadré), qui évolue à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.

« Il m'a expliqué que son approche était utilisée pour traiter certains cancers, dit Michel Phaneuf. Je lui ai alors demandé si la thérapie cellulaire pouvait contribuer à traiter le parkinson. Il m'a répondu qu'on n'en était pas là. »

Michel Phaneuf décide alors de mettre en contact le docteur Roy avec son neurologue, le DPanisset. Les deux hommes acceptent de faire équipe. L'étape suivante fut d'approcher la faculté de médecine de l'Université de Montréal pour chapeauter d'éventuels projets de recherche.

« Ma femme est morte d'un cancer et nous n'avons pas eu d'enfants, raconte Michel Phaneuf. Comme bien des gens dans cette situation, je n'ai pas envie de mourir en ne laissant aucune trace. J'ai voulu trouver une façon de laisser quelque chose après mon départ. »

C'est ainsi que l'idée de créer un fonds de recherche pour soutenir des travaux de recherche sur le parkinson et la thérapie cellulaire est née. Michel Phaneuf avait réuni toutes les composantes pour lancer des travaux de recherche. Il fallait maintenant trouver de l'argent.

VENDRE SES TRÉSORS

En quelques décennies, Michel Phaneuf s'était constitué l'une des plus belles caves à vin du Québec. Il a décidé de vendre ses trésors afin de procurer un financement au fonds de recherche qu'il désirait lancer.

« J'ai pris contact avec Alain Brunet, le président de la SAQ. Je lui ai proposé l'achat d'environ 800 bouteilles avec la promesse de réaliser mon projet caritatif. »

Cette vente exceptionnelle a eu lieu l'automne dernier. Les bouteilles se sont vendues en quelques jours. Parmi les trésors, on retrouvait six bouteilles de Château Pétrus 1982 qui furent vendues environ 5000 $ chacune. « Je les avais payées environ 65 $ lors de leur sortie », dit Michel Phaneuf en rigolant. Également, quelques bouteilles de Château Margaux, de Château Haut-Brion, de Château d'Yquem et de Château Latour.

Grâce à cette vente, Michel Phaneuf a pu remettre 100 000 $ au fonds de recherche Ginette Prémont et Michel Phaneuf pour la recherche en parkinson. Le don, remis officiellement le 26 septembre dernier, servira à soutenir un projet de recherche sur la modulation immune dans la maladie de Parkinson. Michel Phaneuf souhaite voir d'autres donateurs bonifier ce fonds.

« Plusieurs amis croyaient que j'allais être triste de franchir cette étape. Au contraire, j'étais soulagé. Cela me permettait de passer à autre chose. »

ÊTRE UTILE FAIT DU BIEN

Michel Phaneuf a vécu une série d'épreuves qui lui ont permis de développer une philosophie de vie qui repose sur le positivisme. « À 53 ans, j'ai eu un remplacement de genou. J'ai ensuite fait une crise cardiaque. Six mois plus tard, ma femme apprenait qu'elle était atteinte d'un cancer et six mois plus tard, j'apprenais que j'avais le parkinson. Oui, c'est dur, tout cela, mais je me dis qu'il y a pire. » 

« Je suis un homme malade. Mais plutôt que d'être un mort-vivant, je veux être un malade en santé. »

- Michel Phaneuf

Au moment de notre rencontre, Michel Phaneuf se préparait à rencontrer des membres de la direction du Musée des beaux-arts de Montréal. Passionné de photographie, il désire faire un don à l'institution afin d'enrichir sa collection de photographies.

« Vous savez, se sentir utile, ça fait du bien », dit celui qui a maintenant 63 ans.

Je demande à Michel Phaneuf si le plaisir du vin va lui manquer. Il me répond avec beaucoup d'aplomb. « J'aimerais vous dire oui, mais la réponse est non. Je suis comme cela, une fois que le tiroir est fermé, il est fermé. Je vais m'ennuyer des paysages que j'ai vus lors de mes nombreux voyages viticoles, mais l'univers du vin ne me manquera pas. »

Celui qui, depuis ses débuts en tant que chroniqueur dans la revue Perspectives de La Presse, dans les années 70, a goûté aux plus grands vins du monde se contente aujourd'hui de modestes bouteilles. « Je bois du vin tous les jours, mais une bouteille à 10 $ fait mon bonheur. Pourquoi payer 65 $ pour un vin alors que je n'arrive plus à apprécier toutes les subtilités de son goût ? », dit-il en riant.

Michel Phaneuf a trouvé en Nadia Fournier une autre façon de redonner. La jeune critique de vins est la dauphine du maître. Avec lui, elle a appris les rudiments du métier de critique de vin. C'est elle qui a signé la dernière édition du guide, qui s'appelle toujours et encore... Le guide du vin Phaneuf. Comme quoi, même si les papilles foutent le camp, l'héritage demeure.

LA MALADIE DE PARKINSON EN BREF

La maladie de Parkinson est une des anomalies neurologiques les plus importantes et les plus débilitantes. Plus d'un million de personnes aux États-Unis et au Canada vivent avec cette maladie, ce qui est supérieur au nombre total de personnes aux prises avec la sclérose en plaques, la dystrophie musculaire ou la maladie de Lou Gehrig. En raison du vieillissement de la population, le nombre de personnes atteintes de la maladie de Parkinson devrait augmenter dans les années à venir. Cette maladie est aussi associée à de lourdes conséquences psychologiques sur les patients et leur famille. Quant à l'impact économique de la maladie de Parkinson, il est évalué à plus de 10 milliards de dollars.

Source : faculté de médecine de l'Université de Montréal

LA MODULATION IMMUNE ET LA MALADIE DE PARKINSON

À l'aide de la thérapie cellulaire, les chercheurs tenteront de détecter et de supprimer les cellules qui annoncent la progression de la maladie. Dans cette étude, ils travailleront à déterminer l'état d'activation du système immunitaire de sujets atteints de la maladie de Parkinson. Ils étudieront aussi une stratégie d'élimination des cellules T activées. À long terme, l'étude devrait permettre la mise au point de soins curatifs pour cette maladie dégénérative.

Source : faculté de médecine de l'Université de Montréal