Vous en avez sans doute entendu parler. Isabelle Juneau est une blogueuse qui court les tapis rouges. Si elle attire autant l'attention depuis quelques jours, c'est qu'elle a couvert récemment le lancement du film Nitro Rush et que plusieurs adeptes des réseaux sociaux ont découvert... sa manière de faire.

Expressive comme Fanfreluche, enjouée comme Ron Fournier, Isabelle Juneau soumet des questions aussi inutiles que décousues aux vedettes qui tombent dans ses filets et sous son micro. Depuis 2011, elle se rend à ces tapis rouges en se présentant comme l'animatrice du Isabelle Juneau Show. Ses reportages sont présentés sur une chaîne web payante, sur Facebook et sur YouTube.

Avant Nitro Rush, elle a officié au lancement de TVA, au Gala Artis, au Gala du cinéma québécois (anciennement la Soirée des Jutra) et aux funérailles de René Angélil où, après nous avoir dit que les funérailles «se portent bien», elle n'a pu contenir son enthousiasme délirant devant Pierre Karl Péladeau et Julie Snyder.

Elle m'a téléphoné mercredi soir. Après m'avoir lancé: «Ici la pire animatrice du Québec», elle m'a offert le récit de sa vie. Son enfance dans Charlevoix, ses études qui se sont terminées en cinquième secondaire, sa victoire au concours Miss Montréal en 1997 à l'âge de 24 ans, ses petits rôles au cinéma (dans Confessions of a Dangerous Mind avec George Clooney, Julia Roberts et Drew Barrymore, elle joue une hôtesse de jeu télévisé qui pousse un réfrigérateur), tout y a passé.

Isabelle Juneau a combattu un cancer de l'utérus et a récemment subi une double fracture à une jambe. Avec l'énergie d'une louve protégeant ses petits, elle m'a dit et redit à quel point elle aimait ce métier. Elle cumule les petits contrats et se donne à 200 % pour faire sa place. Elle devait d'ailleurs animer jeudi soir au Lion d'Or la soirée de rassemblement de la candidate à la direction du Parti québécois Martine Ouellet. Elle a toutefois préféré se retirer au cours de la journée de mercredi, m'a confirmé Louis-Philippe Dubois, directeur des communications de Martine Ouellet.

Isabelle Juneau s'est greffée à la dizaine de blogueurs québécois qui couvrent les événements mondains et artistiques montréalais. David Touchette est l'un de ceux-là. Il m'a expliqué mercredi que ces blogueurs ou détenteurs de chaînes YouTube sont perçus comme des journalistes et la plupart font ce travail avec sérieux. PO Beaudoin, Catherine Beauchamp, Geneviève Chenail, Montreal.TV et Mathieu Pedneault sont de bons exemples. Ils sont accueillis par les attachés de presse et reçoivent des accréditations pour avoir accès aux vedettes.

Les vidéos d'Isabelle Juneau lors du tapis rouge de Nitro Rush sont devenues virales en quelques heures. Pourquoi sont-elles tant regardées et partagées? Parce que le public adore rire d'Isabelle Juneau. Plusieurs trouvent ses reportages «malaisants», mais la plupart aiment bien s'en moquer.

Je vous avoue que j'ai aussi éprouvé un malaise. Le même que j'éprouve quand je vois l'horticultrice Marthe Laverdière des Serres Li-Ma ou Guylaine Gagnon. Dans le cas d'Isabelle Juneau, ce n'est certes pas agréable de voir quelqu'un mal préparé et mal entouré soumettre des questions maladroites à des vedettes. Ce n'est pas drôle non plus de voir la pauvre vedette patiner ou corriger l'animatrice. Au Gala Artis, Isabelle Juneau a demandé à Guy A. Lepage s'il avait déjà remporté un trophée Artis (il en a gagné une bonne demi-douzaine). Ce dernier lui a alors demandé: «Ah! Vous ne le savez pas?»

En voyant les «reportages» d'Isabelle Juneau, j'ai aussi vu là une insulte à ma profession. N'importe qui peut aujourd'hui s'improviser journaliste. Puis je me suis dit que j'avais tort de penser cela. Isabelle Juneau a le droit de se faufiler. Si on ne veut pas d'elle, qu'on le lui dise franchement.

Il y a quelques années, nous avons créé les réseaux sociaux, cet immense espace démocratique. Encouragés par le phénomène de la gloire instantanée (autre produit du XXIsiècle), des gens profitent de ces outils pour s'inventer un rôle, s'inventer un métier, s'inventer une vie.

J'éprouve un malaise plus grand de voir comment certains usagers des réseaux sociaux deviennent des juges impitoyables. 

Nous avons inventé Facebook, YouTube, Twitter et Instagram pour offrir à tout le monde la chance de s'exprimer. Mais on aime se transformer en tribunaux qui décident de la vie ou de la mort de ces «vedettes». Qui est la farce? Qui est le dindon? La réponse n'est pas claire. Vraiment pas claire.

Maintenant qu'elle est connue du grand public, Isabelle Juneau et son micro seront peut-être bannis. D'ailleurs, elle m'a dit que cela avait commencé mercredi. On lui a refusé son accréditation au tapis rouge du nouveau film de Xavier Dolan, qui aura lieu la semaine prochaine. Elle et son micro seront aussi sans doute craints comme le fut à une époque Raaaaaaaaaaymond Beaudoin. Sauf que derrière Raymond Beaudoin, il y avait Pierre Brassard. Derrière Isabelle Juneau, il y a Isabelle Juneau. C'est là toute la différence. C'est là tout le malaise.