Comme beaucoup de gens, j'ai vraiment cru que le Festival des films du monde (FFM) n'allait pas survivre à la pluie d'épreuves qui s'abat sur sa 40édition jeudi dernier. Abandonné la veille de son ouverture par une dizaine d'employés et par la chaîne Cinéplex à cause de la trop grande insécurité qui régnait, le festival de Serge Losique a bravé la tempête, une fois de plus, et accueille ses fidèles au cinéma Impérial et, depuis mardi, au Théâtre Outremont.

Même si une certaine accalmie semble s'être installée, la journée d'hier a quand même commencé avec une autre tuile: une lettre signée par 21 cinéastes qui concourent dans la catégorie étudiante et qui se trouvent privés d'écran (on présente à l'Impérial les oeuvres importantes en compétition et les premières oeuvres, alors que l'Outremont accueille les oeuvres de cinéastes professionnels hors compétition) a été envoyée à Serge Losique, au maire Denis Coderre et à la ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly. Dans cette lettre, qui déplore la «désorganisation» du FFM ainsi que l'«entêtement» et la «négligence» de son directeur, on exige des excuses publiques afin de dédommager moralement les jeunes cinéastes qui ont engagé des frais pour leur voyage jusqu'à Montréal.

C'est donc la lettre à la main que je me suis pointé mardi au bureau de Serge Losique, au deuxième étage du cinéma Impérial. Je m'attendais à le retrouver entouré de quelques irréductibles employés en train d'éteindre des feux dans une grande agitation. Pas du tout! Il était seul dans son bureau en compagnie de millions de papiers empilés et d'un vélo d'exercice. Il m'a accueilli le plus calmement du monde et m'a servi un numéro comme seul Serge Losique peut en offrir. Il a pris le téléphone et, en moins de trois minutes, il a trouvé une solution à ce problème. Ainsi donc, le grand public pourra voir les films des cinéastes étudiants jusqu'à lundi au Cinéma du Parc.

Serge Losique a raccroché le téléphone, m'a regardé et a ricané. C'est alors que j'ai compris que Serge Losique est plus qu'un directeur de festival. Il est aussi un personnage de cinéma. Il ne fait pas tout à fait partie de notre réalité. Il vit aussi de l'autre côté de l'écran. On lui reproche son intransigeance, son entêtement, son aveuglement. Mais Serge Losique n'a que faire de ces reproches.

Le festival lui appartient, le cinéma Impérial aussi. Il réussit chaque année des manoeuvres pour trouver de l'argent malgré le retrait des subventionnaires gouvernementaux, il y a trois ans.

J'ai cessé de croire que Serge Losique va abandonner son festival. Lors d'un repas, en mars dernier, il m'avait confié que la présente édition serait sa dernière et il m'avait fait promettre de ne pas en parler afin de ne pas compromettre les négociations qu'il menait à ce moment-là avec les distributeurs. J'ai tenu ma promesse. Mardi, il m'a dit qu'il songeait à l'édition de 2017.

Je vous le dis, Serge Losique ne représente pas le monde du cinéma: il en fait partie. Avec lui, il n'y a pas de vrai drame, il n'y a pas de véritable catastrophe. Après le fameux «Coupez», le vieil homme se relève et il ricane. Et vous? Vous réalisez que vous avez été berné par un maître.

Le FFM suivi de près

Serge Losique s'est toujours targué de diriger le seul festival de cinéma compétitif de catégorie A en Amérique du Nord. Il est très fier de cette cote, qui est attribuée par la Fédération internationale des Associations de producteurs de films (FIAPF). Les festivals de Cannes, Berlin, Locarno et Venise font partie de cette prestigieuse catégorie.

J'ai voulu savoir ce que pensait l'organisme des difficultés que connaît actuellement le FFM. Un porte-parole du bureau de Belgique m'a écrit pour me dire que la «FIAPF suit avec la plus grande attention les développements entourant cette 40édition du Festival des films du monde». Pour le moment, la FIAPF affirme que sa priorité «est que les films programmés bénéficient de la visibilité qu'ils méritent».

Si jamais la FIAPF décidait de retirer au FFM sa fameuse cote, cela ferait perdre beaucoup de plumes au festival montréalais. Cela pourrait même être le coup fatal.

Tout roule au Théâtre Outremont

Voyant le FFM abandonné par la chaîne Cinéplex, la direction du Théâtre Outremont est venue à sa rescousse en proposant d'être l'une des salles de projection. Les premiers visionnements ont eu lieu mardi après-midi sans aucune anicroche. J'ai assisté à celle de Naked, un documentaire turc du réalisateur Zekeriya Aydogan, en compagnie d'une dizaine de spectateurs (le programme présenté à l'Outremont est publié le jour même seulement).

Dans ce film de 47 minutes, on suit une ancienne sage-femme qui a délaissé les poupons pour aller laver les morts. On retient de ce film les images qui nous font voir l'intimité des personnages. Ils nous laissent découvrir leur quotidien avec une générosité infinie. Pour le reste, on a tôt fait de bâiller devant le manque d'intérêt de ce film lent et répétitif.

En compétition

Mardi soir à 22 h, au Cinéma Impérial, on présentait le seul film en compétition de la journée. Bench Cinema, de l'Iranien Mohammad Rahmanian, raconte l'histoire d'un homme qui, à sa sortie de prison, se met à regarder des films et a apprendre leurs dialogues afin d'en tirer un one-man show.

Ce film, dont l'action se déroule dans les années 80 en Iran, en pleine Révolution islamique, est en fait une oeuvre sur la liberté d'expression. Pour apprendre ses répliques, le personnage principal doit regarder des vidéocassettes. Or, les défenseurs de l'Islam interdisaient et détruisaient à cette époque les vidéocassettes, témoins de la culture occidentale.

C'est donc en cachette que le personnage, qui rappelle à certains égards Robin Williams, dévore Rocky, Love Story, Casablanca, Breakfast at Tiffany's ou Mary Poppins afin d'en tirer les répliques les plus suaves. Il deviendra le porte-parole d'une culture qui continue à fasciner le peuple iranien, mais qu'il est mal vu d'apprécier.

Ce film comporte plusieurs qualités. Sa réalisation et le jeu des comédiens sont irréprochables. On apprécie surtout la beauté de son propos: la force de l'imaginaire. Ne serait-ce que pour cela, ce film avait toutes les raisons de venir jusqu'à nous.