Je n'ai jamais compris pourquoi on enseigne tous les sens aux enfants, sauf celui de l'odorat. On leur montre les lettres et les animaux, on leur fait entendre les sons du canard et du tchou-tchou, on leur offre des livres avec différentes textures et, surtout, on leur apprend à parler. Mais sur les odeurs et le parfum des choses, rien.

Ceux qui me lisaient avant ma «période patron» à La Presse savent que j'ai la passion des parfums. Je m'intéresse à leur histoire, mais aussi à leur chimie et à leurs techniques de fabrication (j'ai déjà poussé cette folie jusqu'à me rendre aux Archives nationales du Canada photocopier des formulaires de parfumeurs du XIXe siècle pour voir quelles matières ils utilisaient et comment ils travaillaient, mais ça, ne le dites à personne).

Aussi suis-je prompt à sauter sur une nouveauté en librairie qui concerne la parfumerie. La plus récente dans ma bibliothèque est une petite plaquette rédigée à partir d'une conférence offerte par Mathilde Laurent. La jeune femme est le nez de la maison Cartier qui, avec Chanel et Hermès, est l'une des rares à avoir un créateur à demeure. Les autres maisons de parfums et les grandes marques de luxe font aujourd'hui élaborer leurs formules par des laboratoires spécialisés (IFF, Firmenich, Givaudan, etc.). Mais on s'égare...

Dans ce livre, Mathilde Laurent rappelle qu'en olfaction, il n'existe pas de vérité. «Si on fait sentir une fraise les yeux fermés, vous avez tout à fait le droit de dire que cela vous rappelle votre grand-mère, parce que vous avez le souvenir de l'odeur des tartes aux fraises qu'elle cuisinait.»

Notre relation trouble avec l'odorat provient en partie de là, à mon avis. 

Dans un monde où tout doit être clair, précis et logique, l'odorat fait peur. Il ne peut pas toujours offrir une réponse définie au monde cartésien qui nous entoure. 

Et puis, il faut le dire, l'odorat nous fait basculer dans l'univers des souvenirs et de la poésie. Ça aussi, ça fait peur.

Combien de fois votre esprit vous a-t-il guidé tout à coup vers un souvenir de votre enfance et vous êtes-vous demandé: pourquoi est-ce que je pense à cela soudainement? La prochaine fois que cela vous arrivera, arrêtez-vous et songez aux odeurs que votre nez a détectées. Ce saut dans le passé est peut-être relié au parfum du cèdre ou à celui du gâteau à la vanille que vous venez de sentir. Imaginez alors si votre odorat était aiguisé et outillé pour identifier de nombreuses odeurs? Vous sauriez plus souvent pourquoi votre esprit vagabonde.

L'odorat est aussi le sens qui nous rapproche le plus de notre passé animal. Si l'humain intelligent que chacun de nous est devenu a appris à mieux se servir de la vue et de l'ouïe, il a laissé à l'animal les pouvoirs du nez. En délaissant l'odorat, nous avons délibérément pris nos distances face à l'animal.

Nous sommes loin du temps où les médecins «humaient» les maladies. En effet, ceux qui soignaient les gens avaient appris à identifier les odeurs que produisent certaines maladies, raconte Mathilde Laurent. De là est née la fameuse expression «mourir en odeur de sainteté». On raconte que des religieux morts d'une même maladie avaient dégagé une odeur de rose.

Au temps des Égyptiens, le parfum était considéré comme la sueur des dieux. C'est vous dire l'importance qu'on lui accordait. 

Vous me direz qu'il est difficile aujourd'hui de faire le même parallèle alors que le parfum est une affaire de marketing et de gros sous. Vous avez raison. Mais comme bien des phénomènes sont cycliques, nous sommes allés au bout de cette commercialisation outrancière et il y a un retour du parfum de niche fait selon les règles de l'art. Mathilde Laurent a d'ailleurs créé pour Cartier une collection «couture» appelée Les Heures de Parfum. Aujourd'hui, plusieurs grandes maisons ont leur collection de parfums de niche faits avec des matières de grande qualité.

Il est temps que l'on renoue avec cet art complètement ignoré. Il est surtout temps qu'on y consacre plus d'attention. J'ai du mal à comprendre que l'on passe des heures à discuter de l'art du vin et que la grande majorité des gens ne savent même pas comment est fabriqué un parfum.

Profitez de l'arrivée du printemps pour renforcer votre sens de l'odorat. La prochaine fois que vous irez à la fruiterie, humez les choses en les choisissant. Vous aurez l'air peut-être un peu bizarre, mais vous serez récompensé. Votre nez vous le rendra bien.

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Un monde d'odeurs. Mathilde Laurent. Bayard Éditions. Collection Les petites conférences.