Dédé Fortin, l'âme gouvernante des Colocs, a longtemps vécu dans un loft de l'immeuble Godin, à l'angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sherbrooke. À cette époque, l'immeuble centenaire était crasseux et défraîchi. Plusieurs artistes occupaient les différents locaux. Celui de Dédé Fortin était le quartier général du groupe et le repaire d'amis en quête d'une piaule pour faire la fête.

De 1991 à 1998, le créateur de La rue principale a vécu les plus belles années de sa vie dans ce loft décoré d'affiches d'Andy Warhol et de photos. L'immeuble Godin a été racheté dans les années 2000, puis transformé en hôtel chic. Après quelques changements de nom, de propriétaires et de directeurs, c'est maintenant l'Hôtel 10.

Ce lieu branché et verni va rendre hommage au chanteur des Colocs en inaugurant prochainement une suite qui se trouve à l'endroit même où habitait Dédé Fortin. La suite 2116 (l'adresse d'origine du loft de Dédé) sera sans doute un lieu de pèlerinage pour les fans, mais aussi de curiosité et de découvertes pour les touristes étrangers.

Tout cela a commencé en octobre dernier alors que la directrice générale de l'hôtel, Jo-Anne Sauvé-Taylor, a publié un message sur Facebook pour souligner les 100 ans de l'immeuble. Jimmy Bourgoing, ancien batteur des Colocs, a réagi au message en précisant qu'André Fortin avait occupé les lieux. Jo-Anne Sauvé-Taylor y a tout de suite vu une occasion de rendre hommage à cet artiste qui, 16 ans après sa mort, manque terriblement à ses fans.

Jo-Anne Sauvé-Taylor et Jimmy Bourgoing ont gentiment accepté de me faire voir la suite. J'avoue que j'y suis arrivé dubitatif. 

Comment peut-on rendre hommage à un artiste aussi champ gauche que Dédé Fortin avec une suite luxueuse qui coûtera de 500 à 600 $ la nuit?

En arrivant près de la suite, on aperçoit l'escalier qui, autrefois, fut le seul accès aux étages. L'escalier de béton est demeuré intact. «Il y a notre sueur dans cet escalier, m'a dit Jimmy Bourgoing. On les a montées souvent, ces marches-là.»

Dans deux des fenêtres qui donnent sur la cage d'escalier, on a créé des vitraux représentant Dédé Fortin et Patrick Esposito di Napoli, les deux disparus du groupe.

Puis, on aperçoit la porte de la suite 2116. Un artiste a imaginé une oeuvre à partir de dessins du chanteur. Tout de suite, le ton est donné. La créativité débridée du chanteur nous accueille.

En poussant la porte, on a la chair de poule. Sur les murs, on retrouve des pages des cahiers personnels de Dédé Fortin. On retrouve l'artiste contestataire et frondeur qu'il a toujours été. «J'ai pas le goût de voir de quoi la gloire a l'air», peut-on y lire.

On a pris soin de jumeler la poésie de Fortin aux objets de la suite. Au-dessus de la télé: «La TV est une maman qui nous dit ce qui est beau, qui veut notre bien-être à chaque instant.» Dans le miroir de la salle de bains: «Moi j't'aime comme t'es, même si t'es pas.» Au-dessus du lit: «Croire en quelque chose...», le mantra de Dédé Fortin.

Les mots les plus bouleversants ne sont pas de lui, mais d'une de ses amoureuses. La note est placée dans une table de verre de la suite: «Bonjour mon chéri! Il n'y pas de lait. Désolée. Du pain et un peu de fric. À demain... ou à ce soir plutôt!» Dédé Fortin avait conservé cette note qui témoigne de la banalité du quotidien de deux amants. Voilà qui en dit long sur l'extrême sensibilité de cet homme.

Je suis loin d'être convaincu que Dédé Fortin aurait été heureux dans ce décor moderne et léché. Mais en même temps, j'ai trouvé que le mariage était plutôt heureux.

Je n'y ai pas vu une exploitation mercantile, mais plutôt un hommage réussi. J'y ai surtout vu la volonté d'un hôtel-boutique de perpétuer la mémoire d'un artiste qui a tant compté pour le Québec. À cela, je dis bravo.

Après avoir quitté ce loft, Dédé Fortin a occupé un chalet de Saint-Étienne-de-Bolton, en Estrie. C'est là qu'est né le disque Dehors novembre. «Dans le loft de l'immeuble Godin, Dédé était toujours entouré, raconte Jimmy Bourgoing. Il s'est retrouvé isolé au chalet. Quand on y allait et qu'on le retrouvait, je découvrais un autre gars... C'est difficile à expliquer... Il y avait une sorte de désordre qui témoignait d'un mal. C'est là que j'ai réalisé qu'il n'était pas fait pour être seul.»

Au bout de quelques mois, Dédé Fortin a abandonné le chalet de Saint-Étienne-de-Bolton et a emménagé dans un appartement miteux de la rue Rachel. Le 8 mai 2000, il a mis fin à ses jours. Il avait 37 ans. Il n'avait jamais aimé cet appartement.

La suite sera inaugurée le 26 mai en présence de la famille et d'amis.

Il en coûtera de 499 $ à 599 $ pour louer cette suite, selon les tarifs saisonniers.

Dix pour cent de chaque location seront remis à la Fondation Dédé Fortin, qui vient en aide à des organismes oeuvrant en prévention du suicide et en santé mentale.

La Fondation Dédé Fortin célèbre son 10e anniversaire cette année.