Le fondateur du Festival des films du monde (FFM), Serge Losique, présentera son festival pour la 40e fois au mois d'août prochain. C'est lui qui me l'a dit. Malgré les nombreuses embûches auxquelles l'homme de 85 ans fait face, il jure ses grands dieux que l'évènement aura lieu comme d'habitude.

Depuis plusieurs semaines, Serge Losique travaille activement à sa prochaine programmation. Il m'a parlé d'une trentaine de films déjà sélectionnés, d'un hommage au cinéma turc et d'une section chinoise. Il m'a même refilé un documentaire russe anti-Poutine qui n'a pas encore été présenté.

Compte tenu des sérieuses difficultés financières que connaît le FFM, on est en droit de se demander comment l'évènement pourrait avoir lieu. «L'argent n'est pas un problème», m'a répondu Losique.

Rappelons que les trois grands subventionneurs de l'évènement (SODEC, Ville de Montréal, Téléfilm Canada) n'ont pas financé les deux derniers FFM. En réhypothéquant le cinéma Impérial, propriété du FFM, Serge Losique a pu tenir le festival les deux dernières années.

Celui de l'an dernier a toutefois connu un lot de difficultés plus important. On a mis plusieurs mois à payer les 83 employés de l'évènement. Après un recours auprès de la Commission des normes du travail, les employés ont finalement pu recevoir un chèque en février dernier grâce à l'aide d'un prêteur.

Comment la direction du FFM pourra-t-elle recruter des employés cette année? «Ce n'est pas un problème», m'a dit Losique.

Serge Losique se retrouve dans une situation critique et cruciale. Les subventionneurs ont déjà déclaré qu'ils reviendraient au FFM à condition que d'importants changements s'installent. Il faut comprendre par là que les subventionneurs souhaitent l'arrivée d'un nouveau directeur.

Difficile de savoir ce que pensent les subventionneurs de la situation actuelle. La SODEC refuse de commenter ce dossier, car une poursuite oppose l'organisme gouvernemental au FFM (une somme de près de 900 000 $ est réclamée au FFM pour non-paiement d'un prêt consenti il y a cinq ans).

Quant à la Ville de Montréal, j'ai tenté d'obtenir une entrevue avec Manon Gauthier, responsable de la culture. Son attachée de presse m'a répondu que «le moment n'est pas encore venu de discuter publiquement de ce dossier». Au début de l'année, la Ville de Montréal a annoncé la distribution d'environ 8 millions de dollars à une dizaine d'évènements culturels qui doivent se tenir en 2016 et 2017. Le FFM ne fait pas partie de la liste.

Serge Losique tient mordicus à présenter un 40e FFM. Pour lui, c'est symbolique. Il veut se rendre à cet anniversaire. Il a raison. Mettez-vous à sa place, il est le créateur de cet évènement, il l'a porté à bout de bras pendant les bonnes et les mauvaises années.

Certains penseront qu'il aurait dû se retirer il y a bien longtemps afin de donner la chance à un jeune directeur de prendre les choses en main. Mais on l'a compris il y a longtemps, personne ne va indiquer la sortie à Serge Losique.

En même temps, l'homme sait qu'il n'est pas éternel et qu'il faut une bonne dose d'énergie pour diriger un tel évènement. L'an prochain, la Ville de Montréal fêtera son 375e anniversaire. Ce serait une belle occasion de donner un nouveau souffle à ce festival. Losique est-il prêt pour un changement de garde? Quand on aborde la question avec lui, l'homme passe habilement à un autre sujet. Comment cet évènement pourrait-il attirer un nouveau directeur jeune et fringant? Qui pourrait bien être cette perle rare? Cette personne aurait tout un défi, en tout cas.

Souvenez-vous que Gilbert Rozon (Juste pour rire) et Maxime Rémillard (Groupe V Média) ont tendu la main à Losique l'an dernier. Gilbert Rozon proposait à Losique un titre honorifique pendant la période de transition. Il espérait pouvoir compter sur son réseau de contacts dans le monde du cinéma. Il semble toutefois qu'au bout de sept mois, la colle n'ait pas pris entre les trois hommes.

Reste la possibilité de créer un nouveau festival. Serait-ce une formule originale ou reposerait-elle sur la fusion des autres festivals de cinéma de Montréal? En tout cas, si un nouveau festival est créé d'ici l'an prochain, il marquerait la mort du FFM à coup sûr. Cela voudrait dire qu'en persistant à rester en place, Losique provoquerait la mort de son propre évènement. Mais bon, nous n'en sommes pas là.

Peu importe le dénouement, on se souhaite du renouveau comme cadeau en 2017. D'ici là, Serge Losique, seul maître à bord, tentera de réaliser le 40e FFM envers et contre tous. S'il réussit ce pari, cet acte de bravoure et de bravade s'ajoutera à la collection d'étiquettes de ce personnage controversé, mais déjà légendaire.